La main d'oeuvre du chantier
En septembre 1939, les villages qui vont être englobés dans le système de protection du W2, sont pour la plupart des villages neufs. Le village de Laffaux, par exemple, dont l’église fut inaugurée en 1933, n’a pas encore eu le temps de subir la patine des années.
Les anciens combattants de la grande guerre, « la der des der », qui par bonheur ont pu reconstruire leurs maisons sur les ruines de leur village, se demandent sûrement si le sacrifice de millions de poilus avait vraiment servi à quelque chose. Pour une autre partie de la population, celle des plus malheureux, ils vivent toujours dans des baraquements de bois fournis par le ministère de la reconstruction. Depuis 1933, la fameuse ligne Maginot avait bien, comme elle avait pu, essayé de distraire les inquiétudes des habitants, des régions Nord de notre pays. L’aigle impérial, décapité le 11 novembre 1918, avait bel et bien repris son envol avec l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler.
Les articles de journaux ne cessaient de faire honneur à ce mur de béton qui avait bien failli ruiner la France. Mais comme pour toute grande chose, les politiques ne parlaient que de ce qui était bon pour le moral du civil et du soldat. Dès le début du conflit, les chantiers de la ligne Maginot, abandonnés faute de crédit et de décisions politiques, furent relancés dans l’urgence.
Dans le Nord du département de l’Aisne, dans la forêt de Saint-Michel particulièrement, les régiments chargés de garder les frontières Belges se transformèrent en troupes de terrassiers et de maçons. La forêt des Ardennes, classée par les stratèges militaires français comme infranchissable, devait quand même être fortifiée au cas où les Allemands renouvelleraient les bonnes vieilles tactiques de 1914. L’automne - hiver 39-40 fut une période de gros travaux pour ces régions. Les entreprises de travaux publics, furent presque principalement employées pour construire une ligne de blockhaus, qui avait pour but de finir la ligne Maginot. Pour des raisons de neutralité Belge et de susceptibilités nationaliste il ne fut pas permis de la finir avant. Le sort de la Pologne avait enlevé toute illusion au gouvernement français et les promesses de Hitler à Munich n’avaient pas plus de valeur que le papier sur lequel elles avaient été signées.
Le département de l’Aisne et la région de Laon-Soissons, tout juste pansés des plaies de la première guerre, voyaient à nouveau la troupe prendre ses quartiers dans ces villages fraîchement reconstruits. Dans le petit village martyr d’Aizy Jouy, des régiments d’artillerie prirent à nouveau leurs quartiers dans les mêmes carrières souterraines, qui les avaient déjà abrités en 1918. Dans certaines de celles-ci, les anneaux fixés dans la pierre pour attacher les chevaux des « Artiflos » servirent à nouveau quelques vingt et une années après. Cette fois-ci la France se croyait prête. Pour les politiques et les stratèges, nous possédions la meilleure armée du monde. Sur le papier oui, mais dans la tête de nos stratèges nous n’avions pas su tirer les leçons de la première guerre.
* Ferme de Montgarny à Margival réquisitionnée par les ingénieurs de l’OT. (DL)
La drôle de guerre, (septembre 39, mai 40) confortait les généraux dans leur illusion, qu’ils avaient, quant à l’invulnérabilité de la ligne Maginot.
Dans la forêt de Saint-Michel, les chantiers de blockhaus furent stoppés pendant l’hiver 39-40 à cause du froid rigoureux. Les Allemands n’étaient-ils pas blottis, eux aussi sur leur ligne Siegfried à attendre que quelqu’un bouge ?
Les populations s’habituaient à toute cette troupe cantonnée dans les villages, les carrières, les granges et qui payaient bien les vivres et les réquisitions.
Une des préoccupations pour les officiers, était de ne pas laisser la troupe sans activité. En plus des manœuvres et des exercices militaires il fallait les distraire. Un matin de décembre 1939, madame D habitant à Laon vit apparaître son mari, commandant dans un régiment d’artillerie, stationné devant la ligne Maginot. Arrivé chez elle à l’improviste, avec pour mission, en plus de celle d’embrasser son épouse et ses enfants, de réquisitionner des ballons de football pour permettre à ses hommes de faire du sport. L’armée française ne resta pas pendant tout ce temps sans rien faire. Les aérodromes implantés près de Laon, dés la déclaration de guerre, effectuèrent des opérations de reconnaissance sur le territoire allemand. Ce fut de l’Aisne en mai 1940 qu’une reconnaissance aérienne parti pour effectuer des photographies sur la frontière avec l’Allemagne, signala des mouvements de troupes allemandes très importants dans la région des Ardennes. Malheureusement, les états majors français ne prirent pas cette nouvelle avec le sérieux qu’elle aurait dû demander.
Le réveil du 10 mai, ne sonna pas seulement au son du coq mais aussi avec celui du canon. Les troupes allemandes traversèrent la frontière le 11 mai dans la région de Saint-Michel et les fortifications inachevées ne les ralentirent pas. Depuis la déclaration de guerre, un plan d’évacuation de la population civile avait été mis en place par les préfectures. L’Aisne avait pour région d’accueil la Mayenne. Une nouvelle fois dans la vie d’un homme, les femmes et les enfants après avoir vu le départ de leurs époux et pères, qui pour certains avaient déjà fait la guerre de 14, devaient à nouveau, entasser sur les charrettes les biens qu’ils avaient pu regrouper depuis la fin du dernier conflit. Encore une fois, il fallait laisser tout ce qu’ils avaient eu tant de mal à reconstruire.
Ce Chemin des Dames tant martyrisé, deviendrait-il à nouveau le lieu de tant de souffrances et de combats ? En Juin 1940, une habitante de ce petit village d’Aizy Jouy, écrit à sa famille « ils sont à nouveau là ». Par ces mots, elle veut dire que l’armée française est à nouveau face à l’armée allemande sur le Chemin des Dames. Dans la naïveté de sa jeunesse, elle croyait que cette fois-ci les Allemands ne passeraient pas. Pourtant le 5 et 6 juin 1940, sur l’Aisne et l’Ailette, la vaillance de notre armée ne saura arrêter la déferlante des divisions ennemies. Les combats pourtant héroïques et coûteux ne pourront empêcher les Allemands de passer ces rivières, qui devaient être des remparts à leur invasion. Le 14 juin, ces mêmes troupes sont à Paris, déclarée ville ouverte et défilent sur les Champs Elysées.
* Baraque datant de la reconstruction. (DL)
L’armée française, malgré son commandement incompétent, se bat vaillamment. Pour les troupes d’élites et les corps blindés leur retraite ne se fera jamais sans que le territoire français ne soit payé par l’ennemi au prix du sang. Le 22 juin les dés sont jetés. Dans la clairière de Rethonde les plénipotentiaires français sont en pourparlers avec les Allemands pour la rédaction d’un armistice. Pendant la bataille de l’Aisne, Adolf Hitler a installé le 6 juin son quartier général avancé dans le petit village Belge de Brûly-de-Pesche à la frontière des Ardennes, qu’il quittera le 25. Il est des dates, qui dans l’histoire, sont marquées par le destin, car c’est ce même jour, en 1944 que les Alliés débarqueront en Normandie.
Ancien combattant du Chemin des Dames en 1918, le 25 juin, il prend du temps avec deux anciens de son vieux régiment, Max Amann et Ernest Schmidt pour visiter les lieux où ils combattirent. A cette période, le département est vidé de presque toute sa population, les villes et les villages sont des agglomérations fantômes.
Le 25 juin, dés l’armistice mis en vigueur, les habitants des régions laonnoises et soissonnaises vont vouloir rentrer chez eux, le plus rapidement possible . Malheureusement le département de l’Aisne, situé en zone occupée est divisé en deux par les Allemands. Le Nord de celui-ci est classé zone interdite. L’installation du quartier général d’Hitler à Margival début juillet 1940 pour l’opération Seelöwe fut une des raisons pour que la rivière Aisne, fusse prise pour frontière de cette même zone . Les premiers habitants du Sud du département ne rentrèrent chez eux qu’à partir d’août 1940. L’ensemble du Nord de la France est sous contrôle de l’armée allemande. Les populations sont dans l’obligation de demander une autorisation spéciale « ausweise » pour pouvoir rejoindre leurs villages. Un certain nombre qui n’a pas eu le temps d’aller bien loin fait demi tour dés les premières annonces d’armistice. Par les champs, pour éviter tout contrôle de l ‘armée allemande, les villageois retrouvent leurs maisons dans des villages fantômes. Le besoin de garder secret le déroulement des préparatifs d’un futur débarquement, sur les côtes anglaises, pousse à un renforcement des contrôles. Les départements du Nord-Pas de Calais, Picardie seront complètement interdits à tous rapatriements de population jusqu'au mois de décembre de la même année. Le souvenir de l’occupation et les privations de la première guerre, n’encouragèrent pas certains à rentrer tout de suite. Beaucoup de familles demandèrent d’abord un laissez-passer temporaire pour se rendre compte de l’état dans lequel se trouvait tout leur bien. Il ne faut pas oublier aussi que l’Etat français est lui en exil à Vichy et que l’administration est divisée, elle aussi, entre ceux restés à Paris et ceux qui sont sur les routes de l’exode. Il faudra du temps pour que celle-ci se mette au diapason des nouveaux vainqueurs. Les préfectures doivent retrouver leurs préfets, qui devront prêter serment au nouveau président du gouvernement, le Maréchal Pétain. Dans les communes où tous les villageois ne sont pas partis, les autorités allemandes vont désigner d’office des maires qui seront chargés de mettre en application les lois d’occupations. Comme déjà en 1914, les premières choses faites sont les réquisitions au profit de l’occupant.
* Bunker du Führer à Brûly de Pesche. (DL)
Les belles maisons sont transformées en « Kommandantur », les châteaux voient arriver les officiers supérieurs de l’aristocratie du III Reich et tous les stocks de vivres sont confisqués.
Les cartes d’alimentations font leurs apparitions. Grâce aux cartes postales inter-zones les familles divisées par l’exode demandent des nouvelles à ceux qui sont restés au pays. Ces petites cartes roses aux treize lignes pré remplies sont les seuls moyens pour savoir ce qui se passe derrière cette zone interdite. Bien souvent, elles apporteront les mauvaises nouvelles d’un parent décédé ou d’un autre prisonnier.
Toujours dans cette famille d’Aizy Jouy, le père revenu quelques jours pour se rendre compte, trouva malheureusement le village en partie détruit par les combats de juin 1940. La plupart des maisons avait subi des pillages. Pour certaines familles, dont leurs bâtisses n’avaient pas eu le temps de voir ces plâtres séchés, devaient à nouveau être reconstruites et elles devaient encore repartir une nouvelle fois à zéro. Le pillage des biens ne fut pas toujours le fait de l’occupant. Les troupes en déroute n’ont pas toujours respecté le bien d’autrui, malgré les risques encourus en cas de flagrant délit de pillage. Les gens en exode se sont aussi servis pour certains dans les maisons abandonnées. Un habitant avait eu l’idée de mettre sur sa porte en partant un écriteau qui devait, croyait-il, éviter le pire « soldats vous pouvez prendre toute la nourriture et le vin dont vous aurez besoin, mais ne détruisez pas ma maison. Signé : un ancien combattant de 14 ». Cette missive eut-elle le pouvoir d’empêcher le pillage de sa demeure ?
Pour ceux qui purent rentrer rapidement, la première préoccupation fut de retrouver, après le mobilier vital, le matériel agricole, pour sauver ce qui pouvait l’être des récoltes non faites. Pour les paysans qui rentrèrent en août, les blés non fauchés le furent. En souvenance des famines de 1914-1918, les pommes de terre furent arrachées avant maturité, pour empêcher la réquisition de celles-ci par l’occupant. Les combats de 1940, avaient produit beaucoup de destructions et il fallait une fois de plus reconstruire. Les entreprises de travaux publics répondirent encore une fois aux appels d’offres des autorités pour remettre en état telles routes, ou reconstruire tels ponts. En novembre 1940, l’entreprise allemande Siemens, recrute de la main-d’œuvre locale pour réparer le tunnel de Margival -Vauxaillon.
Les autorités allemandes, par l’intermédiaire de la W.O.L « Wirtschafts-Ober-Leitung », organisent les fermes de la région, qui vont travailler souvent avec de la main d’œuvre étrangère, au bénéfice de l’occupant.
* Exemplaire d’ausweise permettant le retour provisoire en zone interdite. (DL)
Les populations reprennent les automatismes qu’elles avaient abandonnés en novembre 1918. Le temps avait passé, mais l’occupant n’avait pas changé. Pour pallier aux réquisitions on eut recours au fameux système D, typiquement français. Les carrières du Laonnois et du Soissonais, après avoir accueilli la troupe, furent utilisées par les populations civiles comme caches pour toutes sortes de choses (vivres, matériels, carburant et armes).
Quand Hitler décida en 1942 d’agrandir le QG qu’il a installé à Margival, il fit intervenir l’organisation TODT (l’OT).
Celle-ci déplaça de grosses entreprises allemandes sous contrat, pour réaliser les travaux du W2 ( Brandt, Seidenspinner, Burmeister, Karl Gross und John, Zeithen, Zedelmeyr ). Dépêché sur le site, l’ingénieur Classen, prit en charge sa réalisation. L’OT malgré sa puissance, ne disposait pas de toute la logistique nécessaire, pour réaliser ce chantier. Pour la construction du premier QG, l’armée allemande avait fait appel au génie militaire de la Wehrmacht. La dimension du nouveau projet demandait des moyens énormément plus importants. D’après les accords de collaboration passés entre le gouvernement de Vichy et l’Allemagne, les autorités françaises sous dictat allemand, effectuèrent dès septembre 1942 les premières demandes de volontaires. Le gouvernement français, pour pallier à la situation de la nation, développa, dès 1940, la doctrine (travail – famille - patrie). Cette idéologie nationaliste voulait redonner un but aux français à travers la famille et le travail. Le chômage à cette époque était très mal vu. Pour faciliter l’incorporation en grand nombre d’ouvriers, le préfet de l’Aisne utilisa son droit de réquisition dès 1942, pour fournir le nombre d’hommes demandés. L’administration de Vichy autorisa la convocation des classes militaires 41, 42 et 43, au bénéfice du service du travail obligatoire (STO). C’est en répondant à cette décision, que des milliers de français se présentèrent aux convocations établies par les préfectures. Dès juillet 1940, ce gouvernement avait mis en place des chantiers de travail ( chantier de jeunesse) pour occuper tous ces soldats démobilisés loin de chez eux ainsi que cette jeunesse appelée sous les drapeaux qui n’avait pas eu le temps de combattre. Toute cette organisation fut du pain béni pour un occupant qui avait un besoin de plus en plus grand d’ouvrier. Depuis l’armistice, l’occupant avait déjà fait des réquisitions de main-d’œuvre pour l’aménagement des bases aériennes de la région ( Chambry, Athies, Couvron, Juvincourt ). En 1942, les convois de travailleurs pour l’Allemagne, au profit de la « Relève », ne faisaient plus recette. Les promesses d’un prisonnier libéré pour deux ouvriers partant travailler pour le Reich n’encourageaient plus au départ. De plus, les villes et les usines allemandes subissaient toutes les nuits des raids de l’aviation alliée. Le travail au bénéfice de l’occupant en France était préférable à la même situation en Allemagne. Après le passage devant un conseil de révision, qui était plus chargé de la comptabilité d’une future manne ouvrière que d’établir l’aptitude à un service civil, les convoqués se virent assigner une entreprise où ils devaient se présenter rapidement. C’est de cette façon que Monsieur Guy Theuret dit Bassol fut convoqué au palais de justice de Chauny en 1943. Il se présenta ensuite au siège de l’entreprise allemande « Heppely » installée à Soissons près de l’évêché . Chacun des hommes réquisitionnés ou volontaires fut incorporé à une de ces entreprises sous contrat avec l’OT et à une tâche établie selon ses compétences.
*Wagonnet Decauville abandonné dans les bois de Margival depuis 1943. (DL)
Sur un chantier comme celui de Margival, qui vit la construction de plusieurs centaines de bunkers, les besoins s’élevaient à plus de 20 000 ouvriers sur dix mois de travail.
L’organisation TODT pris complètement en charge tous ces hommes. Elle avait pour devoir et sous contrat : de les vêtir, les nourrir, les loger et les soigner. Pour ce faire, rien de plus simple que de réquisitionner, les grands établissements de Soissons que sont les collèges et les casernes. Aux dires de certains témoins, la caserne Gouraud, accueillit jusqu’à 10 000 ouvriers logés dans des baraquements en bois. 1943, fut la période où la plus grande partie des travaux de bétonnage fut réalisée. Chaque jour, des centaines de tonnes de matériaux et de matériels étaient déchargés en gare de Margival ou de Vauxaillon ou dans les Port de Pargny – Filain et de Pinon. Les gares de Soissons et de Laon, servaient de plate-forme de distribution aux divers convois chargés d’approvisionner le chantier. Il n’était pas rare que les requis restaient tard le soir pour décharger des trains entiers de sacs de ciment. Quotidiennement, plusieurs trains venaient décharger leur contenu à une des extrémités du tunnel de Vauxaillon. Sur toutes les communes autour de Margival, dans les prés, les villages ou les bois, des nuées de requis s’activaient aux constructions. Madame Champion de Laffaux, à cette époque, encore enfant, me raconta que les Allemands avaient vite fait de construire un bunker. Ils installaient une petite voie Decauville pour amener les matériaux puis creusaient les fondations. Ensuite les ferrailleurs montaient les fers à béton puis venaient les coffrages. La plus grosse partie était sans aucun doute la coulée où les hommes se relayaient auprès des bétonnières. Ces parents ne se faisaient pas d’illusion sur la fonction de toutes ses constructions car un certain nombre y travaillait. Le soir autour du repas on parlait d’une deuxième ligne Siegfreid d’un QG pour Hitler ou Rommel.
Aux alentours de la gare de Soissons, chaque matin des milliers d’ouvriers telle une armée de fourmis, déferlaient des casernes vers la gare pour s’entasser dans une dizaine de trains qui les conduisaient sur les chantiers de Margival. Concernant ces ouvriers, il faut bien faire la distinction entre les volontaires, les requis et les prisonniers.
Les premiers venaient de leur plein gré travailler au profit des entreprises allemandes. Les salaires importants en comparaison avec ceux payés dans une entreprise française étaient des plus attirants.
Les seconds, embauchés sur réquisition par les autorités françaises, bénéficiaient des mêmes avantages que les premiers avec un encasernement en plus. Parmi ces requis, il faut encore distinguer ceux arrêtés par les autorités allemandes ou de Vichy pour diverses raisons ( émigrés sans travail, marché noir, vols, petits délits, actes anti- nazi, etc… ).
* Baraquement du type utilisé par l’occupant pour loger les requis et prisonniers mais aussi la troupe. (DL)
Ceux-ci avaient été arrêtés lors de rafles en novembre 42. Jugés sommairement, ils furent envoyés sur les chantiers. Ils étaient enfermés dans une partie de la caserne Gouraud (le champ d’exercice). Les Allemands y avaient installé des baraquements, entourés de barbelés et de gardes. Les conditions de détention seront similaires à ceux des camps de prisonniers. Les ouvriers vivent dans la misère la plus totale. Les journées de travail sont épuisantes, la nourriture insuffisante, l’hygiène inexistante, les brimades quotidiennes.
Les prisonniers de guerre KG « Kriegs – Gefangenem » pour la plupart d’origine étrangère, car issus des troupes coloniales, sont enfermés dans un camp « Stalag » sur la route de Terny-Sorny à Neuville sur Margival. Leurs conditions sont régies selon les lois sur les prisonniers de guerre, en y ajoutant sûrement des directives raciales. Etant mis au secret par leur statut, ils furent employés à la construction des zones ultras sensibles.
Chaque matin à 6 heures, les équipes étaient prises en charge par les entreprises allemandes et leurs chefs d’équipe, puis réparties sur les chantiers pour huit à douze heures de travail. En dehors de l’encasernement, et de sa promiscuité, les requis sont relativement bien traités. Chaque matin, un repas leur est fourni avant le départ ( café, pain, fromage, matière grasse). A midi, une roulante apporte la nourriture directement sur les chantiers. Le soir, au retour des équipes, chaque ouvrier passait à la cantine de la caserne pour recevoir le repas du soir et un complément de nourriture. Les rations journalières sont quand même médiocres. Un travailleur reçoit à midi une boule de pain, une soupe de légumes avec viande bouillie, de la charcuterie et une ration de matière grasse. Les ouvriers venant directement sur les chantiers apportent leurs gamelles. Depuis l’armistice, la ration journalière en calories à diminuée de moitié pour la population, elle passe en octobre 1940 de 2400 à 1200 calories. Les travailleurs de force quand à eux, bénéficient d’un complément en charcuterie et matière grasse ( margarine). Les pauses repas sont une occasion de pouvoir discuter avec les autres équipes. Les tuyaux et ragots vont bon train. Il circule toutes sortes de bruit sur la venue du Führer pour une inspection, ou sur celle d’un haut dignitaire du Reich. Tous ces bruits ne seront pas démunis d’intérêts, car certains sont lancés par des taupes à la solde des Allemands pour infiltrer les réseaux de résistants qui ne manqueraient pour rien au monde de pouvoir glaner des renseignements au profit des Alliés.
Un certain nombre d’ouvriers agricoles préféra quitter les cultures pour tripler voir quadrupler leur pécule. En 1943, un ouvrier de ferme gagne entre deux et quatre francs par jour. Les travaux prirent rapidement leur vitesse de croisière. L’organisation légendaire allemande pris pleinement sa valeur et rien ne fut fait au hasard. Aujourd’hui encore, lorsque nous voyons l’étendue du chantier, il est difficile de croire que tout cela fut construit en dix huit mois. Les quelques requis, qui par bonheur, ont pu me témoigner leurs histoires, m’ont affirmé qu’il n’y avait aucune troupe pour garder les chantiers et que les quelques soldats qu’ils pouvaient rencontrer étaient, pour la plupart, des officiers de l’OT en inspection. Le contrôle par l’armée allemande des chantiers n’était pas obligatoire. Chaque jour, un appel des ouvriers était fait par les chefs d’équipe pour comptabiliser les présents.
* Personnels réquisitionnées par l’OT pour fournir les repas aux requis et aux membre de l’entreprise VandeWaelle.
Baraque installée à Terny – Sorny. (Commeine)
Un de ces chefs d’équipe était connu sur les chantiers sous le surnom de « rat blanc » il avait la particularité d’être albinos ce qui le différenciait des autres et surtout le rendait visible de loin. Chaque absence injustifiée était aussitôt transmise au secrétariat de l’entreprise qui transmettait à l’OT. Elle demandait, ensuite, des justificatifs à la personne absente ou aux autorités françaises. De nombreux rapports émanant de la police de Vichy font acte d’enquêtes réalisées concernant l’absentéisme d’ouvriers. En 1944, le Feld-maréchal Rommel en inspection sur le mur de l’Atlantique fit une remarque à ces subalternes au sujet des ouvriers français, « se sont de très bons travailleurs, si on prend soin de bien les nourrir et de leur donner un bon salaire ». Le salaire de ces milliers d’ouvriers était indirectement pris en charge par l’état français. Celui-ci, selon les conditions d’armistice, devaient payer chaque jour des indemnités d’occupation au profit de l’Allemagne. Ces indemnités se comptaient en million de francs. Les réfractaires au STO se voyaient confisquer leurs cartes d’alimentation et devenaient passibles de prison. Bien que tout fut mis en œuvre pour retrouver les insoumis, un certain nombre réussit à se cacher dans les exploitations agricoles alentour. Pour la plupart des habitants de la région, ces constructions qu’ils devinaient cachées sous les arbres, n’avaient pas grande importance et comme en 14 il fallait faire avec. Le plus grave pour les paysans, qui possédaient ces terres, était qu’il devenait impossible d’en bénéficier. Pour Monsieur Hennique, une partie de ses pâturages, fut englobée dans la zone interdite. Il se rendit à la kommandantur pour avoir l’autorisation de faire pâturer ses vaches dans la partie qui n’était pas construite. Chaque jour, son fils Jacques, fut chargé d’amener les bêtes jusqu’à un poste de sentinelle qui le faisait pénétrer dans l’enceinte gardée. Toute la journée il surveillait ses vaches jusqu’au soir où cette sentinelle venait le rechercher. Durant ces longues journées, il pouvait voir les prisonniers de guerre s’activer autour des constructions, se trouvant de l’autre côté de la voie de chemin de fer. Un soir, le changement de sentinelle se fit sans que l’on pensa à le faire sortir, et il resta là à attendre qu’on vienne le chercher. La nuit tombée, son père inquiet de son absence et de celui des bêtes, alla jusqu’au poste de garde et expliqua son problème. Une sentinelle alla le chercher lui et ses vaches. Malgré la valeur stratégique et militaire du W2, cette nuit là, il remarqua que les chantiers de bétonnage étaient éclairés de puissants projecteurs. Le camouflage des chantiers n’était pas une priorité pour les Allemands. De 1940 à 1943, la Luftwaffe avec tous les aérodromes de la région a encore la maîtrise de l’air. Ce qui n’empêche pas les forteresses alliées de passer très haut dans le ciel de l’Aisne. En dehors des soldats chargés de la protection du camp forestier, aucune troupe importante ne se trouvait dans les alentours. Certains habitants avaient même trouvé du travail directement auprès des instances militaires. Un habitant de Laffaux fut embauché comme chauffeur d’officier. Il semble incroyable de penser que les civils puissent avoir des vues directes sur une installation de cet ordre. Pour implanter ces constructions, les autorités allemandes réquisitionnaient arbitrairement les terrains dont elles avaient besoin.
* Photo d’une équipe de STO devant les baraques du camp de Neuville sur Margival en 1943. (Juon Louis)
Les propriétaires avaient la désagréable surprise de voir apparaître un beau matin une équipe de terrassiers chargée de creuser les fondations d’un futur bunker.
Les producteurs laitiers virent, pour certains, leurs pâturages complètement désherbés pour exécuter des camouflages. Les dalles de gazon ainsi extraites des prairies recouvraient la toiture des bunkers pour les confondre avec les prés alentours. Ces paysans, mis devant le fait accompli, devaient déposer des recours auprès des autorités françaises pour être indemnisés. Souvent les requis ressemaient les champs aussitôt le travail fini pour éviter que les travaux soient découverts par les appareils ennemis. Les propriétaires terriens ne furent pas les seuls à subir des réquisitions. Les entreprises de la région furent délestées d’un certain nombre de matériel en échange de bons de réquisition. Après la guerre, le village de Margival se transforma en un véritable marché de la ferraille lorsque tous les propriétaires demandèrent à récupérer leurs biens. Comme nous l’avons vu, les carrières furent utilisées pour cacher toutes sortes de choses. Pour soustraire certains véhicules à la réquisition, les entrepreneurs les dissimulaient au plus profond des galeries. Tous rouillés, en 1944, ces véhicules ressortirent des profondeurs de la terre. Une autre chasse à la main d’œuvre fut organisée dans toutes les communes inclues dans le complexe du W2. Dans les huit villages situés directement dans le complexe, chaque habitation était visitée, répertoriée, le nombre d’habitant y était inscrit sur le montant de la porte d’entrée. Cette technique permettait à la police allemande « Feldgendarmerie » de vérifier si le nombre de personnes présentes correspondait au registre. Aux alentours du Château de Mailly ( siége du QG de Von Rundstedt), les femmes et les enfants des villages de Laval en Laonnois, de Vorges, de Nouvion le vineux et d’autres furent réquisitionnés pour défricher tous les bois et taillis qui pouvaient servir de cachette à d’éventuels parachutistes ou maquisards. Un témoin de l’époque, membre de l’ONF, me signala que la forêt était tellement propre que l’on pouvait voir à travers sur des centaines de mètres alentours. Tous les arbres gênants, étaient arrachés et transportés sur des remorques spéciales jusqu’au site de Margival pour camoufler les constructions en cours. En plus de la main-d’œuvre, les autorités allemandes réquisitionnèrent aussi l’industrie lourde de la région.
Les fours à chaux, les cimenteries, les gravières de la région furent mis à contribution.
48 000 tonnes de ciment furent fournies par les cimenteries de l’Aisne. 345 000 tonnes de sables et cailloux furent extraites de la région pour former le béton armé. 12 000 tonnes d’acier furent fondues pour réaliser les fers à béton, poutrelles métalliques, tôles et toutes les choses utiles au chantier. Pour ce qui est des installations intérieures des bunkers (ventilation, portes blindées, blindage, cloches, système téléphonique) une grande partie du matériel venait directement d’Allemagne. L’estampille de la fonderie allemande datait de 1937, encore visible sur la cloche d’un bunker à Margival prouve qu’aucune réutilisation du matériel de la ligne Maginot n’a été faite au bénéfice du W2. Seul le matériel électrique était de manufacture française.
* Le château de Mailly qui devait accueillir Von Rundstedt. (DL)
En 1943, les Alliés commencent leurs grands raids aériens pour détruire les installations industrielles allemandes. Chaque nuit, les bombardiers Anglais, pilonnent les objectifs stratégiques, le jour, se sont les Américains qui en font de même. En Juin 1943, le barrage hydroélectrique de la région de Dortmund en fait les frais. Le soir du 9 Juin 1943, les requis encasernés à Soissons, sont regroupés et enfermés dans l’enceinte de la caserne Gouraud. Monsieur Lucien Loizel, qui bénéficiait d’une autorisation spéciale pour coucher à l’extérieur est prévenu par un camarade que l’ensemble des ouvriers devait partir pour l’Allemagne (sur ordre personnel de Hitler), afin de reconstruire les dégâts du barrage. Seuls, ceux qui pouvaient rentrer chez eux, ou qui pouvaient dormir à l’extérieur de la caserne, purent échapper à cet exode forcé. Absent du comptage, ils ne furent pas moins convoqués par les Allemands et reçurent ordre de partir pour l’Allemagne après avoir touché une paire de chaussures neuves et leurs arriérés de salaires. Comme beaucoup Lucien Loisel ne se rendit jamais à la gare et disparut dans la nature. Certains restèrent cachés jusqu’en 1944 dans les fermes alentours, et ils aideront avec la résistance à l’évacuation des pilotes alliés abattus sur le territoire Français.
Cette ponction dans la main d’œuvre du W2 ralentit considérablement le chantier. De nouvelles réquisitions furent faites dans d’autres départements. Mais sur tout le littoral français, l’occupant s’affairait aussi à construire le Mur de l’Atlantique, ce qui diminuait considérablement le nombre de personnes encore utilisable. La fin de l’année 1943, et le début 1944 fut la période où l’occupant devint de plus en plus méfiant et sévère. Les actes de sabotages étaient plus fréquents et tout le monde devenait des terroristes en puissance. L’histoire des hommes qui ont travaillé à Margival a laissé peu de traces écrites. Quelques graffitis dans les carrières témoignent du passage de certains. Dans celle de Bohérie prés du cimetière allemand de Malmaison un « KG » fait au noir de bougie rivalise avec une croix de Lorraine. Nous avons encore aujourd’hui, heureusement, des témoins qui sont capables de ne pas nous laisser oublier cette page de notre mémoire locale, période qui fut des moments de souffrance et de peur pour un grand nombre.
*En haut : distillerie de Terny-Sorny réquisitionnée par les Allemands.
*Graffiti de requis et KG de 1943.
(DL)