La résistance
Après les combats du 5 et 6 juin 1940 sur l’Aisne et l’Ailette, un matériel de guerre important fut abandonné dans la campagne aux alentours de Laon et Soissons. Lorsque les habitants rentrent de l’exode, bon nombre fidèles à l’appel du général de Gaulle du 18 juin, vont s’empresser de récupérer tout ce qui pourra aider à la résistance et à chasser l‘ennemi. Les carrières de pierres abandonnées dans les bois redeviennent des caches sûres, où sont stockées ces armes. Les premiers groupes de résistants sont isolés, dans une région placée sous haute surveillance, pendant les préparatifs du débarquement Allemand en Angleterre. Les moyens de communication avec les Alliés sont inexistants. Les radios émetteurs fournis par les Anglais ne feront leur apparition que plus tard. Pour transmettre les renseignements en cette année 1940, les agents doivent les faire passer de l’autre côté de la Manche, grâce à des marins pêcheurs qui prennent d’énormes risques. Jusqu’en décembre 1941 les Anglais restent seuls à combattre, et les moyens qu’ils ont, sont réservés à leurs troupes pendant la bataille d’Angleterre. En octobre 1940, le gouvernement de Vichy promulgue les premières lois anti-juives et fait la chasse aux communistes. Ce sont ces directives qui vont pousser la plupart de ces hommes vers la résistance. Dans les administrations, les PTT, la SNCF, l’éducation nationale et les syndicats d’ouvriers, tous vont organiser des réseaux. En plus du renseignement sur les troupes d’occupation, les groupes se chargent de cacher et de trouver des faux papiers pour les prisonniers de guerre français évadés. Les mairies fournissent de fausses cartes d’identité et des tickets de rationnement. Fin 1940, le gouvernement de la France libre à Londres envoie du matériel radio et des agents formés pour l’espionnage et le renseignement. Jusqu’en 1942, les groupes de résistants de la région vont surtout s’intéresser aux travaux de constructions d’aérodromes. Ceux-ci sont utilisés comme bases de départ pour les bombardiers qui vont effectuer des raids sur Londres. L’entrée en guerre des USA permet l’envoi de matériel et d’armes plus modernes. L’industrie française étant mise au service de l’Allemagne, les Alliés ont besoin de savoir ce qui se passe de l’autre côté de la Manche. Avant le début des travaux à Margival, les groupes de résistants de la région, ont surtout pour mission de récupérer les pilotes de bombardiers alliés, abattus au-dessus de l’Aisne et de les cacher. Des navettes aériennes de nuit sont organisées pour les renvoyer rapidement en Angleterre. Avec les moyens qui leur sont accordés les petits groupes épars sont formés en réseaux plus ou moins grands. Chaque réseau travaille seul sans connaître les autres.
Cet isolement évite en cas d’arrestation, que plusieurs ne tombent. Ces réseaux portent un nom de code, et chaque membre de celui-ci est désigné par un pseudonyme. Les réseaux les plus actifs dans la région de Margival furent :Vélites Thermopyles Eleuthére, Bir Hakeim, Gautier, OCM ( organisation civile et militaire) FFI ( forces françaises de l’intérieur) FTP
( franc tireur et partisan). Le courage de ces hommes et femmes dans une région administrée par les Allemands n’est plus à prouver. Au nez et à la barbe de l’occupant un simple épicier devint le chef d’un réseau et la fille du coiffeur passe les contrôles avec, dans la pompe à vélo de sa bicyclette, des messages pour Londres.
Mais un grand nombre de Français reste fidèle au maréchal Pétain sauveur de la France, comme le dit si bien la chanson. Chaque résistant doit être méfiant car la plus insignifiante personne peut devenir un dénonciateur. Le gouvernement de Vichy encourage les dénonciations et offre même des récompenses aux délateurs. Les facteurs engagés dans les réseaux se chargeront d’intercepter et de détruire un grand nombre de ces courriers assassins.
L’évêché :ancien siège de la Gestapo à Soissons. (DL)
La ligne de démarcation et la zone interdite compliquent encore plus les échanges de renseignements. Pour faire évacuer un pilote ou un agent vers l’Angleterre, il n’est plus question de faire confiance à des passeurs qui rançonnent les gens en leur demandant des sommes énormes. Des terrains d’atterrissage sont trouvés sur les plateaux de la région comme à Blérancourt ou dans la plaine comme à Clermont-les-Fermes. Grâce aux messages codés de la BBC les réseaux connaissent les jours et la qualité de la livraison ( agents, armes, émetteurs etc…). Les agents de liaison radio (Radio) doivent prendre toutes les précautions pour que leur émetteur ne soit pas découvert par les voitures de détection Gonio allemandes. Le couvre feu et les patrouilles de nuit instaurés dès le début de l’occupation, rendent difficiles les sorties, les nuits de pleine lune pour aller baliser les terrains et recevoir les matériels. Le lendemain, les résistants devaient cacher ou redistribuer ceux-ci au nez et à la barbe des nazis. Un ancien membre du groupe Bir Hakeim de Soissons ( il avait 16 ans à l’époque) m’a raconté qu’il fut chargé par son chef de réseau d’aller chercher à vélo un émetteur à Saint Quentin et de le rapporter dans la même journée à Soissons, en passant par Laon pour y déposer des messages. Sur le chemin du retour, l’émetteur caché dans une valise ficelée sur le porte bagage de sa bicyclette, il fut arrêté par une sentinelle allemande postée devant le château de Mailly réquisitionné par la Wehrmacht. Celle-ci lui demanda ses papiers et où il allait, mais devant l’air ahuri du jeune homme il ne prit pas la peine de fouiller son bagage et lui intima l’ordre de circuler rapidement. La découverte de l’émetteur aurait signé sa perte et celui du réseau.
La bravoure et l’inconscience des ces jeunes partisans est à glorifier.
Ces deux qualificatifs sont indispensables, pour avoir l’audace de prendre en charge un aviateur américain qui ne parle pas un mot de français et de le convoyer par train de Soissons jusqu'à Paris. Après avoir passé tous les contrôles il fallait encore traverser la capitale pour le déposer à une adresse où d’autres personnes le prenaient en charge. Les années de 1940 à 1942 furent employées à structurer les réseaux et à établir des hiérarchies. Après le débarquement de Dieppe, les résistants savaient qu’un jour ou l’autre les Alliés débarqueraient en France et il fallait faire tout pour ralentir l’approvisionnement de l’armée allemande, en difficulté sur le front de l’Est et en Afrique. Des fermes travaillant sous contrôle de la WOOL furent incendiées. Dans les usines, fabriquant pour la Luftwaffe, comme à Chauny, des sabotages sur la production était courante.
* Mon grand père en 1920 devant le bureau des artificiers démineurs.(DL)
Chez Wolber à Soissons qui produisait des pneumatiques pour la Wehrmacht, des résistants faisaient tout en sorte pour que la production soit défectueuse. Le groupe OCM de Craonne, dont faisait partie mon grand père, était chargé de fournir des renseignements et d’effectuer des sabotages sur l’aérodrome de Juvincourt. Ancien artificier démineur du génie militaire en retraite, de 1940 à 1944 il fut réquisitionné de force pour désamorcer les bombes non explosées après les raids des bombardiers alliés. Quand une piste était inemployable, car une bombe était plantée dans le sol, il effectuait sont travail avec un zèle et une lenteur digne d’un douanier Suisse en grève. Pendant tout ce temps une piste était inutilisable pour le décollage. D’autres membres du groupe réquisitionnés pour boucher les trous de bombe, coupaient les fils électriques des avions en passant par les trappes de trains d’atterrissage ou perçaient les réservoirs. Le réseau le plus actif dans l’Aisne pendant la guerre fut, sûrement, celui des cheminots. La plupart des agents de la SCNF étaient syndiqués et lorsque les syndicats furent interdits, la majorité entra en résistance. Le musée de la résistance et de la déportation de Fargniers en est un fervent témoignage. Dans le livre « la bataille du rail » il est bien démontré avec quel acharnement les cheminots ont combattu l’occupant. Dérayages de train, sabotages d’aiguillages, erreurs d’acheminement des convois, tout était bon pour ennuyer l’ennemi.
En septembre 1942, lorsque les premières réquisitions d’ouvriers pour Margival sont ordonnées par les préfectures, les réseaux de l’Aisne sont mis en alerte. Les Alliés veulent avoir des informations sur ces gros travaux qui se font entre Soissons et Laon. Les chantiers de fortification sur l’ensemble du territoire vont être prioritaires pour la recherche de renseignements. Le besoin sans cesse croissant de main d’œuvre facilite l’infiltration d’agents au sein des équipes de construction. Le groupe Gauthier qui est le plus important dans le secteur va se charger de placer ces hommes. L’ampleur des travaux qui, rappelons le, a employé 20 000 ouvriers sur plusieurs centaines de chantiers fut une tache hardie. Il fallut trouver de nouveaux membres sûrs, capables de fournir des renseignements intéressants.
Les Allemands savaient très bien que des fuites allaient se produire. Dans toute cette masse, des personnes pro Allemandes ou fidèles au gouvernement de Vichy servaient d’agents de renseignement de la Gestapo ou de la milice. Très vite ces taupes ou moutons firent circuler des ragots de toute sorte pour attirer d’éventuels résistants. Ces bobards pouvaient les mettre en contact avec un réseau qu’il suffisait de surveiller pour ensuite, faire tomber tous les membres. Monsieur Lucien Loisel de Blérancourt que j’ai interrogé comme ancien requis, me relatait qu’au moment du repas de midi sur les chantiers, il y avait toujours des ouvriers qui faisaient circuler toutes sortes d’informations. La plus répétitive parlait de la venue prochaine d’Hitler en personne ou de l’arrivée de son train sous le tunnel de Vauxaillon ou en gare de Soissons. Très prudent, car au courant de la présence des moutons, il s’est toujours méfié des inconnus aux « grandes gueules ». Un soir de 1943, un de ces amis est venu le voir chez ses parents pour lui demander s’il serait intéressé pour rentrer dans la résistance et fournir des informations sur les chantiers qu’il fréquentait. Le sachant membre d’un groupe de Coucy le Château, il lui demanda de ne pas mettre en danger sa famille en venant le soir chez lui, mais qu’il pouvait l’attendre au bord de la route quand il se rendait au travail à vélo. Sa situation était difficile et il ne voulait pas prendre de risques inutiles. L’idée d’entrer en résistance ne lui déplaisait pas et il eu des contacts avec cet homme en avril, mai et juin 1943. Lorsque tout le groupe Gauthier fut arrêté en juin 1944 et suite aux parachutages manqués sur le plateau de Blérancourt, Lucien Loisel se cacha sous une fausse identité en Seine et Marne. Depuis juin 1943 il était réfractaire STO et recherché. Une partie de ce chapitre sera consacré aux agissements du groupe Gauthier.
L’action de tous ces réseaux a vraiment influencé le cour des événements pour la libération de notre département. Dés le débarquement, les cheminots firent sauter toutes les lignes de chemins de fer utiles aux Allemands. Hitler ne put venir à Margival le 17 juin en train, car toutes les nuits des déraillements avaient lieu. L’aérodrome de Juvincourt, sous surveillance du groupe OCM, fut bombardé le 16 au soir, ce qui empêcha l’atterrissage de l’avion du Führer, l’obligeant à se poser à Metz. Les lignes téléphoniques indispensables pour la liaison entre Margival et le reste du front sont aussi sujet à sabotages. Dans la mesure de leurs compétences, chaque résistant a apporté sa contribution.
Les plans plus ou moins réalistes griffonnés sur une page de cahier d’écolier, ont pu donné aux Alliés une approximation de l’ampleur du chantier. Les divers rapports faits sur la venue du maréchal Rommel, en janvier 1944, transmis par Pierre Nord furent très utiles aux Alliés pour les préparatifs du débarquement. Mais dans l’ensemble peu d’actions furent mises en œuvre contre les fortifications de Margival. Les importantes positions de Flak et leurs imposants dépôts de munitions souterrains, cachés dans les carrières de Crouy, Terny-Sorny et de Laffaux de même que les emplacements de défense terrestre ne furent pas bombardés. Dans le village de Folembray, non loin de Coucy le Château, les Allemands avaient réquisitionné pour en faire un dépôt de vivre la verrerie, qui produisait des isolateurs électriques et les carrières de Bernagouse qu’ils avaient transformé, là aussi, en dépôt de munitions. Le réseau Gauthier fournissait plus facilement des renseignements car la région contrairement à celle de Margival n’avait pas subi d’évacuation.
Les troupes d’occupation avaient pris leurs habitudes et chacun faisait avec. Le retour à la maison après l’exode avait été quelque peu difficile mais les années d’occupations avait rodé les mentalités. En plus des installations de Folembray, les Allemands dissimulaient d’importants stocks de carburant camouflés dans la forêt près de Saint Gobain.
Là aussi, le renseignement fut de grande valeur car en août 44 le dépôt fut bombardé et détruit. Malheureusement en faisant deux victimes civiles, une maman et son bébé qu’elle promenait dans un landau. Dès la réussite du débarquement, les habitants de l’Aisne attendirent avec fébrilité l’arrivée des Alliés. Dans chaque maison, des drapeaux aux couleurs des vainqueurs étaient réalisés avec de vielles robes ou de vieux draps et cachés soigneusement en attendant les libérateurs. Les fêtes nationales des 14 juillet et 11 novembre étaient interdites depuis l’armistice du 22 juin 1940 et si prés de la fin, il démangeait à certains de montrer leurs patriotisme. En ce jour de 14 juillet 1944 à Folembray, le jeune Pierre Ferreira âgé de 15 ans revenant du collège avec ses copains vit un curieux défilé de fête nationale sans autorisation. Un de ces camarades captura une oie blanche dans la rue et avec l’aide de sa mère, lui badigeonna la queue de minium rouge et lui mis autour du cou un nœud de tissu bleu. Fier de son travail, il lâcha la patriotique bête dans la rue principale du village. Cette Marianne à plume remonta tout le village en dandinant, arborant les couleurs de la France. Elle passa devant le café ou des soldats allemands, assis à boire une bière s’esclaffèrent de rire. La chose fit le tour du village, mais la plaisanterie de potache aurait pu être mal pris par un occupant sur le qui vive. Comme cette autre fois où ils décrochèrent un wagonnet sur une voie Decauville et le lancèrent sur la voie qui descendait sur la verrerie. Le fracas qu’il fit en percutant le butoir au bas de la pente mis les Allemands dans une colère noire. Il leur fallut rentrer au village en faisant un grand détour avec la peur d’être arrêter. Tous les renseignements fournis par la résistance de la région aux Alliés, mettait en évidence les positions de Flak qui se trouvaient en construction sur les plateaux du Soissonais. Leurs repérages en étaient plus aisés car elles étaient implantées près des grandes routes ouvertes à la circulation. Les chauffeurs de camion transportant des matériaux entre les chantiers pouvaient donner des informations plus complètes. Les restaurateurs et commerçants de Soissons eux surveillaient les grands hôtels de la ville et les allers et venues d’officiers allemands. Là encore, des ragots complètement faux sur la descente d’Hitler dans un hôtel du centre ville, ont encore la vie dure. Les prisonniers de guerre encasernés dans un camp à Neuville sur Margival faisaient beaucoup parler. Ils travaillaient dans une partie interdite de la commune de Margival, le long de la voie de chemin de fer. Cette activité, que les habitants voyaient de loin, camouflée sous le couvert des arbres, intriguait les Alliés. Les missions de reconnaissances aériennes de la RAF et de l’US Air force ne montraient rien sur les clichés et il fallait que les réseaux du coin trouvent des informations. Une occasion se présenta en mars 1944 quand les Allemands ordonnèrent d’évacuer les huit villages englobés dans le système de défense du W2. Pour se faire, ils firent appel aux autorités de Vichy pour mettre à disposition, des personnes chargées d’aider les habitants à évacuer. Les préfectures firent intervenir les « équipes nationales » crées par Vichy pour aider les populations dans le besoin. Formées de jeunes gens, pour la plupart issus des groupes d’étudiants des clubs sportifs ou de scouts, ces équipes nationales étaient employées au déblaiement après les raids aériens, à l’accueil des réfugiés mais surtout à la propagande de Vichy. De jeunes résistants Soissonais faisant partie de ces équipes nationales sautèrent sur l’occasion pour aller voir de plus près.
Etudiant et membre d’un club d’escrime le jeune résistant du groupe Vélites Thermopyles baptisé Montecristo alias RX 210 fut chargé par son chef de réseau Monsieur Aubrier, qui se trouvait être aussi son professeur d’histoire, de se porter volontaire avec d’autres camarades pour aider à l’évacuation des habitants de Margival.
Leurs missions furent de regarder partout, de visualiser le maximum de choses sur les travaux entrepris par l’organisation TOD , et de retranscrire les observations le soir à son responsable Bernard Douai. Plusieurs étudiants, sous la responsabilité de Montecristo, prirent en charge par équipe de deux des familles de Vregny puis de Margival. Pendant le déménagement des meubles et des affaires, ils découvrirent plusieurs bunkers camouflés en maisons ou cachés dans les granges. Certains disposaient d’entrées directes dans les maisons. Ils remarquèrent aussi la présence de téléphone à l‘entrée de certains. Leurs actions n’étaient que de l’observation, mais deux jeunes d’une équipe sabotèrent, sans prévenir les autres, une ligne téléphonique en coupant les fils. Cet acte stupide et sans aucune valeur, mis en alerte les Allemands qui firent une enquête. Après avoir interrogé les évacués sans résultat, ils se tournèrent vers les équipes nationales. L’affaire fut transmise à la Gestapo qui effectua des arrestations. Etant responsable des équipes qui avait travaillé dans ces villages, Montecristo fut arrêté. La bravoure de ce jeune homme mérite que l’on s’attarde sur son arrestation en avril 1944. Quelques semaines après les déménagements il se trouva assis sur un banc dans le couloir du collège, face au bureau du directeur qu’il avait demandé à voir. Deux hommes de la Gestapo accompagnés de trois Felgendarmes firent irruption dans l’établissement et demandèrent à voir le directeur. La secrétaire les fit entrer dans le bureau où Montecristo entendit qu’ils étaient venus pour l’arrêter. Le chef d’établissement partisan de la résistance leur affirma qu’il était absent depuis le matin. Les hommes demandèrent à voir le professeur responsable. Le directeur les conduisit auprès de celui-ci, ce qui laissa le temps à Montecristo de se sauver. Il rentra chez lui où il prépara une musette, la remplissant de quelques affaires, de tabac et de papier à cigarette. Il savait ce qui allait se passer, mais au lieu de fuir et de prendre le maquis il resta chez lui où la Gestapo viendra l’arrêter le lendemain matin. Je lui ai demandé pourquoi il avait agit de la sorte ? « Si je m’étais enfui, les Allemands auraient pris mon père en otage et je ne le voulais pas ». Il fut transporté au siège de la Gestapo à Soissons où les interrogatoires se succédèrent pendant trois semaines. Subir ce sort à seize ans est une chose qui marque la mémoire et force le respect. Tout le monde connaît les méthodes que les nazis utilisaient pour avoir des renseignements. Au bout de ces trois semaines il fut transféré à la prison de Laon, où il resta trois autres semaines.
*Ancienne prison de Laon. Aujourd’hui transformée en logements appartements. (DL)
* Garage de Coucy le Château où les deux hommes furent abattus. (DL)
* Monument des résistants Émile Hincelin et Anatole et Remi Boitelet. ce dernier avait seulement 17 ans. (DL)
Il me témoigna que lors des bombardements de la gare, les prisonniers étaient descendus dans les sous sol et carrières situés sous la prison. Les résistants eux restaient dans les caves, endroits les moins sûrs, qui pouvaient s‘effondrer si une bombe tombait sur le bâtiment. Au bout de ces six semaines, le deuxième jeune homme qui avait saboté les fils se dénonça pour qu’un innocent ne soit pas puni à sa place et Montecristo fut relâché, sans avoir parlé. Il pris aussitôt le maquis dans une ferme de Osly-Courtil. Les deux saboteurs furent envoyés dans les camps, d’où, ils ne revinrent jamais. Il est des hommes, comme le métal, qui plus on frappe dessus plus ils deviennent durs. En août 1944, le jeune Montecristo passera plusieurs fois derrière les lignes allemandes pour espionner les positions ennemies et transmettre les informations aux Alliés.
Les observations qu’ils avaient pu effectuer ce jour là en mars 1944 furent plus précieuses à la résistance que le sabotage de quelques malheureux fils de téléphone. Malgré tout, les renseignements étaient faibles lorsque les Américains sont entrés dans Soissons et Margival restés toujours un point noir dans la défense allemande. En septembre 1944, il eut l’occasion de pénétrer dans le W2. « quelques jours après la libération de Soissons ,je me suis rendu dans un bunker de transmission à Margival. Il y régnait un désordre incroyable, sûrement dû au départ rapide des Allemands et aux pillages des lieux. J’y ai récupéré quelques paquets de cigarettes. Ce qui m’a impressionné, c’est la grandeur et la qualité des constructions. Les bâtiments étaient camouflés sous les arbres et invisibles vu du ciel.
A cette époque, nous ne savions pas à quoi pouvait servir Margival, nous pensions que c ‘était un point de résistance comme les Allemands en avaient fait en 14/18 ».
La recherche d’informations, au profit des Alliés, ne fut pas la seule activité des groupes autour de Margival. Le groupe Gautier mit en place une action visant à tuer Hitler en personne. Les ragots sur les chantiers avaient bien sûr trouvé une oreille attentive et un plan de guet-apens fut élaboré. Ce groupe faisait parti des mieux armés. Il disposait de plusieurs dizaine de fusils, mitraillettes et même deux mitrailleuses lourdes récupérées sur un avion abattu, ainsi que des explosifs en grande quantité. Leur but était de tendre une embuscade lorsque Hitler viendrait visiter le W2.
Pour avoir le maximum d’informations, ils leur fallaient aussi pouvoir pénétrer dans la zone interdite. Deux des membres, aux noms de code Brennus et Desplats, se firent embaucher comme garde d’écluse à Vauxaillon. Les Allemands utilisaient, pour monter la garde sur les écluses comme bouclier humain contre les terroristes, des civils français jumelés avec des gendarmes. Ils leur fournissaient de vieux fusils de chasse à canon sciés, inoffensifs à longue distance. Ces deux hommes firent la connaissance en mai 44, d’un sous officier allemand du régiment Gross Deutchland en poste au bureau d’administration de Vauxaillon, qui avait la langue bien pendue. Il leur appris la venue du Führer, en personne, pour diriger les opérations de contre offensive en cas de débarquement des Alliés à l’Ouest . Le groupe devait, dans l’hypothèse d’une action, intercepter la voiture blindée d’Hitler, neutraliser la garde rapprochée et tuer le chef du IIIème Reich. Ne pouvant savoir le jour et l’heure de l’arrivée, une observation des mouvements de véhicules fut mise en place. S’ ils ne pouvait l’intercepter à l’arrivée, ils pourraient peut être l’atteindre au moment d’un déplacement. Un nombre important d’agents fut mis en place pour surveiller toutes les voies d’accès à la région de Margival ainsi que de tous les aérodromes du département. Des liaisons avec d’autres groupes furent faites car les hommes manquaient pour une telle affaire.
Essayons de visualiser cette opération pour mieux en comprendre les difficultés. Des résistants à leur poste d’observation voient des véhicules d’état major passer sur un axe routier X. Rapidement, ils doivent transmettre l’information au chef de réseau qui doit définir le type d’action, le nombre d’hommes, le matériel à utiliser et le lieu de l’embuscade. Les axes routiers menant à Margival sont nombreux ils viennent : de Laon ou Soissons (RN2), Chauny (D1), Reims (RN31) ou Juvincourt ( D18). Lorsqu’une tactique est définie, il faut que le groupe puisse se rendre aux lieux choisis avec armes et matériels sans attirer l’attention des Allemands, puis attendre que le convoi repasse. Pour qu’un tel plan marche, il aurait fallu avoir des informations transmises très rapidement. N’oublions pas que les résistants se déplaçaient le plus souvent à bicyclette. Les laissez-passer que les deux résistants possédaient, leur permettaient seulement de se rendre par le chemin le plus court de la limite de la zone interdite jusqu’à l’écluse et non de se déplacer dans toute la zone. Le canal de l’Aisne à l’Oise où ils travaillaient, est à la limite de la zone interdite au nord de Vauxaillon. Le convoi aurait très bien pu ne pas repasser par où il était venu, obligeant à mettre plusieurs embuscades en place simultanément et augmentant ainsi les effectifs. Le débarquement en Normandie chamboula les projets. Les Alliés avaient plus besoin, que la résistance neutralise les voies de ravitaillement des Allemands, que d’un attentat contre Hitler ( ils furent prévenus du projet longtemps après le 6 juin). le 7 juin le groupe Gautier reçoit la mission de détruire un train de carburant à destination de l’aérodrome de Crépy-Couvron, camouflé en forêt sur une voie de garage à Nogent-sous -Coucy. Sa destruction est impossible directement, tant la garde est importante. Il décide de détruire la ligne de chemin de fer. L’aiguillage de Landricourt est saboté interdisant tout déplacement du convoi. Malheureusement, ce sabotage se fait à quelques kilomètres de la zone interdite de Vauxaillon, ce qui ne manque pas d’alerter les agents de la Gestapo. Le 8 juin, deux faux résistants, soit disant recherchés et faisant partis d’un groupe d’Hirson, se rendent chez Raoul Gautier, pour que celui-ci, les aide à se cacher. Ils lui fournissent des informations et mots de passe que seuls des résistants peuvent connaître. Informations qu’ils ont dû avoir de partisans arrêtés et torturés par les services de renseignements nazi. Ces deux hommes de la Gestapo se sont infiltrés dans le réseau grâce à des membres de celui-ci qui se sont laissés berner. A 17 heures, un soldat allemand vient à la boutique pour acheter des accessoires de bicyclette, mais surtout pour savoir si Monsieur Gautier est encore là. Le même soir, Raoul et un autre membre du groupe Gautier, Daniel Lefèvre, son chez lui autour de la TSF pour entendre les messages personnels pour la résistance émise par la BBC. Pendant ce temps, Coucy le Château est investi par la Wehrmacht. Des soldats font irruption dans la maison et abattent dans le jardin les deux hommes qui essaient de fuir. Le réseau est décapité, certains membres sont arrêtés ainsi que madame Gautier et sont déportés vers l’Allemagne. J’ai pu rencontrer lors d’une conférence à Crépy en Valois un cousin de la nièce de Raoul Gautier. Cette dernière lui a témoigné que ce serait des Français qui auraient abattu son oncle en juin 44. Milice de vichy ou Français de la Gestapo ? Son âge avancé et sa santé ne permirent pas que je lui pose d’autres questions.L’infiltration du groupe par la Gestapo ne se fit pas en une journée. Nous savons que des mouchards faisaient circuler de faux bruits pour attirer les naïfs. Il n’est pas concevable de penser que les Allemands aient construit un tel complexe sans se douter que des fuites se produiraient. Ils leur étaient simple de contrôler ces fuites pour remonter la filière jusqu’à la tête et faire tomber tout le réseau. Ce travail leur a sûrement pris des mois et le sabotage de l’aiguillage fut le révélateur de la mise en action du groupe Gautier. Les deux membres Brennus et Desplats réussirent à se sauver et rejoignirent les Alliés. Aujourd’hui, il faut rendre hommage à de tels hommes qui ont fait don de leurs vies pour que nous puissions être libres. Malheureusement, tous les actes de résistance dans notre département, n’ont pas eu un tel écho et seulement quelques monuments sur le bord des routes nous rappellent que quelques uns ont subi une mort atroce au nom d’une France qui se voulait libre. Le 30 août 44, trois hommes sont arrêtés à Laon sur dénonciation. Un père, son fils et un ami résistant, eux aussi, sont saisis par les Allemands le matin au retour d’une opération de sabotage. Ils sont emmenés en camion sur la route de St Quentin et sont fusillés sur le bord de la route. Entre Soissons et Vic sur Aisne, se sont des membres de la Croix Rouge qui sont mitraillés par des SS en fuite alors qu’ils se rendaient sur le lieu d’une attaque pour secourir les blessés. L’occupant dans sa fuite a commis des actes de barbarie que l’Histoire ne pourra jamais excuser.