Le V1
La conférence du 17 juin 1944, nous le savons, ne fut pas d’une importance tactique et stratégique pour la suite des combats de la Libération. Outre la venue d’Hitler, le point essentielle qui peut être retenu ce jour là, fut la chute de ce V1. Les historiens d’après guerre ont beaucoup brodé sur cet événement, a cela, se sont ajoutés les légendes locales. L’écrivain Anglais Chester Wilmot, dans son livre « the struggle for Europe », relate la chute de l’engin sur le bunker, alors qu’Hitler était encore là. Jean Hallade, dans ces ouvrages « la guerre aérienne et la libération de l ‘Aisne » et « la résistance était au rendez-vous », stipule que la bombe serait tombée aux alentours de 21 heures à quelques centaines de mètres du bunker. Dans un article paru, dans les années quatre vingt, l’abbé Callewaert (curé de Margival) parle d’une promenade que le Führer aurait accompli, avec des membres de son escorte, sur le plateau de Neuville sur Margival pour revoir de loin le lieu où il fut soigné pendant la première guerre. Pendant cette ballade, une bombe volante déréglée, serait passée au-dessus d’eux, pour aller exploser plus loin. Cet incident fut perçu comme un mauvais présage ce qui poussa Hitler à rentrer en Allemagne. Les archives allemandes sur les V1 relatent bien la chute d’un engin déréglé le 17 juin dans la région de Soissons. Cet accident fut analysé par l’inspecteur Schmidt du RSD W2. Pour bien approfondir le sujet j’épluchais bon nombre d’ouvrages sur les armes secrètes pour comprendre la stratégie qu’Hitler avait bâti sur leur emploi. Mais il est des hasards de la vie, ou des rencontres doivent être programmées par le destin pour éclaircir les trous obscurs de l’histoire. Dans son livre « W2 », André Murawski, situe le point de chute sur les terres de la ferme de Rosay, sur la commune de Vaudesson à deux kilomètre du bunker d’Hitler. La commune de Vaudesson ne faisant pas partie des zones évacuées en mars 44, il pouvait peut être encore exister des témoins de la chute du V1. Je me suis rendu dans cette commune pour rencontrer le Maire Monsieur Georges Leroy qui, à cette époque, était le fermier de la ferme de Rosay. Il ne put me donner aucun renseignement, car nulle bombe volante n’était tombée chez lui pendant la guerre. Il me promit de se renseigner auprès des anciens de la commune pour savoir si quelqu’un pouvait témoigner de quelque chose. Je n’avais pas fait deux kilomètres que mon téléphone portable sonna. Il me demanda de revenir chez lui, car un de ces vieux amis Monsieur Bernard Adam pouvait me donner de précieux renseignements. Ce jour là, je fis la connaissance du seul témoin vivant de l’accident et il me relata les faits suivants :
« en 1944, j’avais 25 ans et je travaillais comme ouvrier agricole chez mes grands-parents à Vaudesson. Ancien combattant de 39-45, je fus démobilisé en juillet 1943 et je suis venu en zone occupée chez eux.
Au sujet du V1 tombé à Margival, je me souviens très bien qu’une nuit d’été 44, je fus attiré dehors par un bruit bizarre venant du ciel. Passionné par les avions, je fus intrigué par ce vrombissement qui ne ressemblait à rien de connu. Je levais la tête et vu dans le ciel une flamme intermittente orangée. La lueur et le bruit ont décrit un virage au-dessus du village. Tout à coup, la flamme s’est coupée et je n’ai plus rien entendu. Puis, une forte explosion se fit entendre au loin, et je vis sur le sommet de la colline en direction du village de Allemant une forte lueur. Je compris que quelque chose avait explosé dans le coin, un bombardier allié sûrement.
Le lendemain matin, je me rendis à vélo dans la région de l’explosion pour voir les restes de l’épave. Près de la ferme de Saint-Guislain, à Allemant une quantité importante de soldats allemands dont des officiers reconnaissables à leurs casquettes plates galonnées, étaient en train de s’affairer aux alentours du marais. Je ne pus réussir à m’approcher plus près en raison des sentinelles postées sur la route et fit demi-tour. Quelques jours après, je retournais à la ferme pour m’apercevoir que les toitures de la ferme ne possédaient plus leurs tuiles, ni leurs tôles. Les vitres de la maison avaient volé en éclats. Autour de la ferme, les peupliers, situés dans les marais, étaient dépouillés de leurs feuillages comme si nous étions en hiver. A l’arrière de la ferme près du marais, un champ de pommes de terre avait été complètement nivelé, on n’ y apercevait plus aucune route. Aux alentours, tous les arbres avaient leurs branches brisées. J’ai remarqué qu’en bordure du champ près du marais se trouvait creusé un cratère de 6 à 8 mètres de diamètre rempli d’eau. L’objet que j’avais vu, volait à plusieurs centaines de mètres d’altitude. En 1944, nous ne savions pas ce qui était tombé sur la ferme de Saint-Guislain.
Ferme de Saint-Guislain sur la commune de Allemant. (DL)
Ce fut seulement après la guerre que j’appris qu’il s’agissait d’ un V1 ».
Sur la question de l’horaire, il me répondit :
« je suis sûr qu’il faisait noir, car la seule chose que je voyais était cette flamme intermittente orangée ».
Après cette explosion, les troupes allemandes furent-elles plus présentes dans la région ?
« Non, Vaudesson était calme. Nous n’avions qu’une batterie de DCA légère sur le plateau près de la carrière de Montparnasse ».
- A la libération les Allemands se sont-ils regroupés dans le secteur de Margival ?
« Nous n’allions pas traîner par là, mais lorsque les Américains sont arrivés dans la région, des troupes allemandes sont venues s’installer dans les fermes et dans la salle des fêtes du village. Avant de partir, ils ont volé tout ce qu’ils pouvaient et ont même rançonné certains habitants ».
Le témoignage de monsieur Adam pouvait me laisser dubitatif. Pourquoi les diverses personnes qui ont écrit sur Margival n’ont t-elles jamais été se renseigner auprès des gens de la région ? Pour valider ce récit, il me fallait des preuves tangibles. Les archives allemandes nous donnent le premier renseignement indubitable, mais du reste que pouvons nous retenir ? Dans les deux ouvrages que j’ai consultés sur les V1 « les derniers coups de dés du Führer » de Jacques Nobécourt et « A bout portant sur Londres » de David Irving,
les deux auteurs tracent très minutieusement le parcours des armes secrètes du Führer. Elles furent pour la première fois lancées sur Londres le 13 juin 44 avec 80% d’échec. Une deuxième tentative, avec plus de succès, fut faite deux jours plus tard le 15.
Les bases de lancement étaient installées dans le Pas de Calais, la Seine Maritime et la Normandie.
Ces bases très spécifiques par leurs formes étaient des proies prioritaires pour les Alliés. Les renseignements de la résistance et des services secrets alliés montraient que les Allemands allaient mettre en service de nouvelles armes ( bombes volantes, fusées et canons à longue porté).Des rapprochements entre les travaux fait à Peenemünde île sur la mer Baltique et les chantiers de bétonnage dans le Nord de la France mirent en évidence en juin 44 la prochaine offensive des nazis. Le sujet le plus important pour les Allemands était le camouflage de ces installations.* V1 posé sur sa rampe catapulte. Site de Ardouval en Seine Maritime. (DL)
Le lancement d’un V1 ne passe pas inaperçu, il est très visible lors de sa mise en place sur sa rampe et pendant le catapultage. Quelque jours après le débarquement, les Allemands n’auraient pas pris le risque de lancer leurs V1 en plein jour alors que les Alliés ont la maîtrise complète du ciel. Les chasseurs bombardiers Anglais ou Américain n’auraient fait qu’une bouchée des infrastructures de
lancement. D’une portée de 350 kilomètres, les V1 et leurs bases étaient à la merci d’un raid éclair à tout moment du jour ou de la nuit. Pour avoir un effet psychologique plus grand au début de l’offensive, les tirs étaient de nuit. Le temps de vol était calculé par une hélice située à l’avant de la bombe qui avait un compte tours programmé. A la fin du décompte, le moteur se coupait, les ailerons de profondeur se bloquaient en piqué et la dérive en virage serré, faisait basculer le V1 jusqu’au point d’impact. La précision avait plusieurs kilomètres de dispersement. Cet inconvénient fut la raison du manque de résultat des attaques sur les objectifs choisis par les Allemands.
La capacité de destruction du V1 était produite par une charge explosive de 840 kilos de Trialen. Il pouvait raser un quartier entier lorsque les bâtiments étaient rapprochés. La ferme de Saint Guislain est isolée dans un vallon à un kilomètre du village. L’explosion de l’engin dû être éloigné de celle-ci, car seules les choses légères furent détruites. Le point d’impact situé dans le marais derrière la ferme à amorti l’explosion.
Pourquoi est-il venu tomber dans l’Aisne alors que son objectif était Londres ?
Lors du lancement, le V1 n’a pas son système de direction activé.
Guidé par un gyroscope ASKANIA à trois axes, commandé par un compas magnétique qui pouvait être déréglé par l’acier de la catapulte, il était activé automatiquement quelques minutes après le lancement. L’orientation de la rampe lui donnait sa direction, le gyroscope rectifiait les écarts de direction dus aux perturbations atmosphériques. Celui qui tomba sur Margival a vu son compas magnétique faire un demi tour à 180° ce qui amena son hélice compte tours à zéro au-dessus du Chemin des Dames. Le témoignage de monsieur Adam coïncide avec les caractéristiques du V1. Volant à une vitesse de 625 km/h, en partant de la Chaussée Tirancourt (80), il ne mit que quelques dizaines de minutes pour atteindre Margival. Ce qui démontre qu’il fut tiré de nuit comme en témoigne les deux écrivains. Dans ce cas Hitler ne pouvait plus être sur le plateau pour contempler le paysage. La conférence s’étant terminée à 16h30, cette promenade dû se faire, si elle a vraiment eu lieu, entre 16h30 et 22 heures, moment du coucher de soleil en cet été 44. Le récit du général Speidel fut-il pris en compte pour la rédaction de cette histoire ? Il est peu probable, car étant son chef d’état major il quitta le W2 en même temps que Rommel et ne put assister à l’accident. Il apprit la chose le lendemain matin au quartier général de la Roche Guyon. Un autre témoignage est avancé par Jean Hallade, celui d’un ancien agent du SD (service secret allemand) qui était en poste dans la région de Soissons. « le 17 juin, il faisait jour jusqu’à 22 heures, mais le risque d’attaque par des avions alliés maraudeurs prenait fin vers 20 heures. D’autre part, pour les mêmes raisons de sécurité, l’avion du Führer effectuait son trajet de nuit. Il fallait moins d’une heure pour aller de Margival à la base de Crépy-Couvron. C’est le 18 au matin, en arrivant à Margival, que j’ai appris le départ du Führer la veille au soir. Les risques d’attaque finissant à 20 heures avec moins d’une heure de route, Hitler se trouvait donc sur l’aérodrome de Crépy-Couvron vers 21 ou 22 heures bien avant la chute du V1. Dans le chapitre sur la conférence, nous avons vu que Albert Speer ne parle absolument pas de ce sujet dans les lignes sur son entretien avec le Führer le 18 juin. Il n’y a pas de raison, aujourd’hui, de contester la chute du V1 sur la ferme de Saint Guislain ce 17 juin 44, ni sur la véracité du témoignage de monsieur Adam, mais plus sur la présence de Hitler comme spectateur.
Un autre témoin oculaire des destructions de la ferme, me donna son récit en février 2008, lors d’une visite du W2 que je fis avec un groupe de randonneurs de Cuffy. Il m’a affirmé que les propos tenus par monsieur Adam était véridique. Le travail de recherche pour un historien ne fini jamais, car le temps est une aide très précieuse qui vérifie ou détruit toutes certitudes. En septembre 2008, j’ai appris l’existence d’un rapport allemand trouvé dans des archives qui n’avaient attirées l’attention de personne, sauf d’un journaliste spécialisé dans les récits de guerre travaillant pour la revue anglaise After the Battles. Ce monsieur, Jean Paul Pallud me fit parvenir une copie de ce rapport.
Le 17 juin vers 4h30, ce qui semble être un FZG 76 s’est écrasé à deux kilomètres du camp W2.
Le LXV.Armeekorps doit immédiatement lancer une enquête et en faire le rapport au chef du WFSt.
Signé : Jodl, chef du WFSt ;
Télex envoyé à 22h55 le 17 juin et reçu à 23h15 ce même jour.
Ce texte donne enfin l’heure exacte où ce V1 est tombé, 4h30 du matin. Donc les hypothèses émises au début de mon chapitre ne tiennent plus devant cette preuve intangible. Autre hasard de l’histoire, en septembre 2008 je fis la rencontre de madame Ciry, nièce de monsieur Leleu, qui fut le gérant de la ferme de St Guilaint en juin 1944.
le 17 juin 1944 à 4h30 du matin, une explosion fit, en plus de terrifier le bétail et la volaille, voler en éclats toutes les vitres de la maison et arracha toutes les toitures de la ferme. Rapidement les Allemands arrivèrent à la ferme, car une patrouille passait toutes les heures. la ferme était réquisitionnée par les Allemands et servait à l’approvisionnement du camp de Margival. La Gestapo, les SS et la Wehrmacht firent irruption dans la cour de la ferme en criant « où est tombé l’avion, où est tombé l’avion ? ». Monsieur Leleu qui avait ramassé quelques morceaux de métal noircis leur donna. Pendant toute la journée des troupes ont ratissé le périmètre du point de chute. L’explosion eu bien lieu le matin de la venue d’Hitler. Mais aujourd’hui avec ces nouvelles preuves, il vient à l’idée de savoir, si le Führer fut mis au courant de la mésaventure de son arme secrète. Je ne crois pas qu’il le fut avant la conférence. Si le cas en était, se serait-il permis tout ce long monologue sur ces armes de représaille pendant la conférence et le repas. Le général Heinneman, lui aussi, aurait été bien dans l’embarra pour faire son exposé devant Rommel et Von Rundstedt. A la vue des renseignements que nous possédons maintenant, il est plus sûr de croire que le service du DS ne fit mention de l’incident à l’état major du Führer que seulement à la fin de la journée. Même s’il fut mis au courant avant la réunion, il ne le dira à Hitler quant fin de journée. Cet incident servit d’excuses pour annuler la visite à l’état major du front Ouest de St Gerlain en Lay et de la Roche-Guyon. Pourquoi les autorités militaires allemandes n’ont t-elles pas fait plus de commentaires sur cet accident ? Hitler avait-il peur des conséquences sur le moral des troupes si elles apprenaient qu’une arme secrète construite pour la victoire finale, avait failli tuer le chef suprême du III Reich. La superstition d’Adolf Hitler le poussait à consulter des astrologues, ces derniers lui ont-ils demandé de ne pas en faire mention pour le bien du Reich? Ou Hitler a t-il mis cet accident sur le compte d’un sabotage de la résistance française? Les propos qu’il eut avec Speer le 18 pourraient nous le faire croire. Pour certains, faire un amalgame des deux événements donnait sûrement plus de relief à cette page de notre histoire locale. Il y a toujours dit t-on, une part de vérité dans chaque légende. La conclusion de ce chapitre lui ne change pas. Hitler savait-il ou ne savait-il pas ?
DL