Construction des bunkers
Cette étude sur la construction des bunkers est basée sur les observations que j’ai réalisée sur le terrain, complétée par les renseignements que j’ai pu glaner auprès de personnes qui ont été témoins de leur construction, ou qui y ont participées. Les techniques pouvant varier d’une région à l’autre certains pourront trouver des erreurs dans cette description. Une importante littérature sur le thème m’a fourni de précieux renseignements quant aux diverses étapes de la construction.
Lorsque l’armée allemande décida de construire le W2 de Margival, elle fit appel, comme nous le savons, à l’organisation TODT. Cette organisation ne possédait pas toute la logistique nécessaire pour réaliser tous les chantiers que l’occupant faisait sur le territoire français. Elle fit donc exécuter des réquisitions de matériel pour que la main d’œuvre puisse travailler. Après la guerre, lorsqu’il fallut restituer tout ce matériel, la commune de Margival se vit transformer en caverne d’Ali Baba où une montagne d’outils et de machines, se trouva étiquetée de pancartes, en pleine nuit malgré la surveillance des gendarmes, revendiquant le nom des pseudo-propriétaires.
Lorsque l’emplacement du bunker est choisi, que sa fonction est définie, il reste à mettre le chantier en route. Comme les bunkers sont standardisés, l’organisation TODT sait très précisément combien de mètres cube de béton, d’acier, de blindage, de portes, de systèmes de ventilation, de mètres de câbles électriques et autres fournitures nécessaires à la construire l’ouvrage.
Les travailleurs engagés vont d’abord terrasser le terrain. Pour toutes les constructions de Margival l’OT utilisera, dans le but d’avoir une grande rapidité d’exécution, les matériels les plus performants pour l’époque. Quand cela est possible, des centrales à béton seront montées le plus près possible des ouvrages à couler. Elles seront reliées aux dépôts de matériaux et matériels par des voies ferrées Decauvilles de 60cm, cheminant sur plusieurs kilomètres. Le département de l’Aisne en 1940 est un grand producteur de sucre et la betterave est une des cultures principales dans les exploitations agricoles de la région. Dès la fin de la guerre de 14, l’industrie sucrière installe des lignes de chemin de fer sur voie étroite pour transporter cette marchandise jusqu’aux sucreries où elle est transformée. Des dizaines de kilomètre sillonnent la campagne dans le Laonnois et le Soissonnais.
L’OT va se servir au maximum de ce réseau, et en démontera une partie après la campagne sucrière pour l’installer ailleurs et la remettre en place pour la récolte.
Du port de Pargny – Filain ou près de 600 tonnes de matériaux sont déchargées des péniches chaque jour, une ligne monte en bordure de la route sur le plateau du Chemin des Dames pour alimenter les chantiers. Plusieurs voies de délestage permettent le croisement des convois.
Après le terrassement, une dalle de 10 cm de béton armé est coulée pour recevoir le ferraillage des fondations (radier). Contrairement aux ouvrages de la ligne Maginot les fers à béton sont de plus petit diamètre mais en plus grandes quantités. Les graviers sont aussi de diamètre plus petit, ce qui donne au béton une homogénéité et une résistance plus importante.
Les fondations du bunker sont coulées jusqu’au niveau du sol de l’ouvrage, lorsque la plus grande partie des fers à béton est mise en place. Par la suite, les coffrages intérieurs sont posés sur ce radier en même temps que toutes les tuyauteries de ventilation, d’évacuation, de câblages électriques etc ... Les blindages sont installés à la suite sur le béton déjà durci, de même que les cloches de tirs, les portes étanches et les blindages de plafonds. Sur le modèle 106A, la cloche en acier de 25 cm d’épaisseur pèse 51 tonnes. Ce genre d’installation demande des moyens mécaniques et de levage d’une forte capacité. La mise en place des coffrages extérieurs se fait au fur et à mesure.
L’implantation de plusieurs bunkers dans un même périmètre, permettait grâce à des tuyaux métalliques de relier la centrale à béton au coffrage, et de couler plusieurs ouvrages en même temps.
* Terrassements de camouflage inachevé sur un bunker 105 A de Neuville sur Margival. (DL)
Monsieur Nivart de Margival qui habitait près de la place se souvient très bien de ces gros tuyaux de fer qui passaient au-dessus de la route et qui atterrissaient directement dans les coffrages. Pour la composition du béton les Allemands font venir des matériaux de plusieurs régions. Sable et grave de l’Aisne, granite concassé de la région du Rhin et de la Meuse. Chaque jour, plusieurs trains de marchandises venant de Laon ou de Soissons déchargeaient sur Margival et Vauxaillon des centaines de tonnes de matériaux ou de matériels. Pour le ciment, l’Aisne disposait avant guerre de nombreuses cimenteries qu’il suffisait à l’occupant de réquisitionner et de faire travailler au profit de l’OT.
Lorsque la coulée est décidée, une véritable fourmilière s’active autour des coffrages. Le béton de type (pré – contraint) étant à prise relativement rapide dégage une chaleur importante qui oblige les ouvriers à arroser les coffrages. Lorsqu’un ouvrage est coulé, cette coulée doit être faite en continue pour éviter une faiblesse dans le béton. Les équipes chargées d’alimenter les bétonnières se relayaient 24 heures sur 24. Une batterie de ces machines pouvait produire plusieurs dizaines de mètres cubes à l’heure. Après le séchage et le décoffrage, les bunkers recevaient leur appareillage intérieur.
Système de filtration contre les gaz, éclairage, téléphone, chauffage, ameublement et couchage. La plupart des ouvrages du W2 sont reliés par câbles blindés et souterrains à des centrales téléphoniques et à des bunkers électrogènes qui les alimentent en électricité en cas de besoin. A l’extérieur, les ouvriers réalisent le goudronnage du bunker, technique qui le rend étanche à l’humidité. Contrairement aux ouvrages de la ligne Maginot qui étaient enduits de ciment lissé, les bunkers allemands sont bruts de décoffrage. Les traces laissées par les planches de bois sont encore visibles. L’absence d’humidité à l’intérieur, aujourd’hui encore montre la qualité de cette technique. Pour tous les ouvrages les murs intérieurs sont peints en blanc, ce qui favorise la luminosité. Les sols sont carrelés de faïences blanches ou grises. Les couloirs d’entrée peints en couleurs camouflage dans les tons, brun, ocre, noir et vert. Le goudronnage terminé, les terrassements peuvent être rebouchés et le terrain remis dans un état relativement naturel. La partie visible du bunker se voyait recouverte de dalles de gazon de 20 cm d’épaisseur provenant des prairies alentours. Sur Laffaux, plusieurs bunkers construits dans le village, seront camouflés en maison. Des enduits extérieurs imiteront la pierre de taille, les murs d’embrasure seront camouflés en les surmontant de chapeaux, et le mur du cimetière sera même prolongé pour englober dans son périmètre un bunker. Pour parfaire ce mimétisme, il suffisait de construire sur le sommet du bunker, un toit fait de tuiles ou de tôles pour que, vus du ciel, on est affaire à de vulgaires bâtiments agricoles .
Lorsqu’un secteur de fortification est fini, il faut le plus rapidement possible le rendre invisible aux vues aériennes. Pour ce faire, des arbres entiers sont prélevés dans les bois alentours et transplantés sur les sites de constructions puis recouverts de filets de camouflage pour masquer leur feuillage fané. Plusieurs reconnaissances aériennes permettaient de soigner le travail. De petits avions de reconnaissance survolaient les chantiers pour fignoler le camouflage.
Les quelques vues aériennes prises par les Alliés en 1944 dévoilent certaines positions de Flak très visibles au milieu des champs, mais aucune ne montre la présence d’ouvrage le long de la voie SNCF Laon-Soissons pourtant photographiée à plusieurs reprises. Ce qui démontre la qualité du travail. Cette partie du quartier général, il faut le comprendre, fut construit dès septembre 1942 et à cette date la Luftwaffe à le monopole du ciel français. Cette suprématie interdisait tout survol de la région par des avions de reconnaissance jusqu’en 1944.