Utilisation tactique du W2
Depuis le début de cet ouvrage, l’absence d’archive fut l’un des problèmes les plus récurrents que j’ai rencontré pour rédiger celui-ci, tout en restant dans la vérité. Dans l’ouvrage W2 de A. Murawski, celui-ci n’a que très peu utilisé le témoignage des habitants locaux, pour ne pas prendre, cite t-il, en considération des légendes ou des témoignages déformés par le temps ou le manque de repère.
Pourtant ces témoignages ont leur importance et ils m’ont permis grâce à des recoupements de comprendre ou de découvrir certaines choses que d’autres n’ont su faire ressortir de la mémoire collective.
Les seuls écrits que nous possédons sur l’utilisation tactique et militaire du W2, sont ceux des comptes-rendus et des rapports de l’OKW qui sont restés après guerre. L’utilisation du W2 en 1944, par l’état major du Maréchal Model, est le point incontestable quant aux fonctionnements des infrastructures de Margival. Le manque d’archives ne veut pas dire qu’il ne s’y est rien passé. La conférence du 17 juin que nous avons étudiée dans un chapitre précédent ne peut pas être mise au compte d’une utilisation tactique.
Premièrement, elle ne dura qu’une journée et le W2 ne fut pas dans la suite immédiate d’une importance et d’une utilité pour la transmission ou la mise en œuvre d’action.
Pour la rédaction de ce chapitre, il me fallut chercher dans une littérature très diverse sur la seconde guerre, des indices que j’ai ensuite recoupés avec des témoignages locaux.
Le choix du site de Margival est principalement lié à la présence du tunnel, qui par sa longueur et sa profondeur, en fait un abri sûr et utilisable immédiatement.
La région devient-elle seulement, à partir de 1942 et le début des grands travaux, un lieu stratégique ?
Pour fouiller au plus profond de la mémoire des hommes, il me fallut utiliser dans mes questionnaires, lors de mes rencontres avec les habitants de la région, des références remontant jusqu’à la drôle de guerre (septembre 1939- mai 1940). En revenant sans cesse à la chronologie des évènements, j’ai pu faire ressortir de leurs souvenirs des détails qui furent pour moi des révélations. Ce rappel continuel, aux déroulements des évènements, me permettait de les guider dans leurs souvenirs mais aussi d’éviter la confusion de ceux-ci.
Les premiers habitants revenus après l’exode, rentrèrent vers la fin août, début septembre 1940. La région se trouvait déjà en zone interdite et tous les ponts sur l’Aisne et l’Oise sont sous haute surveillance.
Dans l’ouvrage de Friedrich Ruge « Rommel face au débarquement 1944 », celui-ci relate l’existence d’un poste de commandement camouflé dans la forêt près de Soissons. Poste de commandement mis en place pour la réalisation de l’opération « Seelöwe : lion de mer » plan d’invasion de l’Angleterre par les troupes allemandes. Cette hypothèse rejetée premièrement, me revint à l’esprit lors de mes enquêtes auprès des anciens du « coin ». Des témoignages sur certaines constructions me parurent intéressantes.
Deux habitants, un de Neuville sur Margival et une autre de Laffaux ( M. Hennique et Mme Champion), m’ont affirmé séparément que lors de leur retour, des choses se passaient déjà dans les bois de la région de Margival.
Tous les deux m’ont déclaré que la zone boisée entourant le tunnel était déjà clôturée de barbelés. Cet endroit se trouvait gardé jour et nuit par des soldats de la Wehrmacht et transformé en zone strictement interdite. Madame Champion a un souvenir très net, qu’à son retour d’exode, l’occupant avait fait construire des baraquements en bois près de la ferme Notre-Dame à la sortie du village de Laffaux, juste au-dessus du ravin de Margival. Les soldats ne sortaient presque pas de ce périmètre.
Pourquoi les Allemands avaient-ils eu besoin de réaliser ces constructions ?
Margival n’avait plus, une fois l’armistice franco-allemande signée, de valeur stratégique. L’implantation de troupes ne semblait avoir aucun intérêt. Le tunnel quant à lui, à cette époque, était encore bouché du côté Margival. La ligne SNCF Laon-Paris ne sera restaurée qu’en fin d’année 1940. Cette destruction, résultat du minage réalisé par le génie français en juin 1940, avait pour but de détruire les deux entrées mais la mise à feu ne fonctionna pas correctement et une seule fut obstruée.
Le 25 juin 1940, Hitler se rendit en pèlerinage dans la ville de Laon où il y passa quelque temps en 1918. Des images prises devant et à l’intérieur de la cathédrale le prouvent. Depuis minuit l’armistice était en vigueur sur l’ensemble du territoire Français. Le 21 à 15h00, il était à Compiègne où il présentait les conditions d’armistice aux officiers Français.
Si nous prenons pour exemple, le quartier général du Führer à « Bruly de Pesche » en Belgique, petit village aménagé de baraquements en bois camouflés sous les arbres pour accueillir l’état major d’Hitler pendant la campagne de France ; nous pouvons émettre l’hypothèse qu’une construction de ce style d’implantation put être réalisée à Margival entre juin et août 1940.
Le témoignage de F. Ruge, certes petit, peut toutefois être pris très au
sérieux. En 1940, il est officier supérieur de la marine de guerre allemande (Kriegsmarine ), donc en étroite relation avec l’opération « Seelöwe. »
Si ces constructions ont bien existé, l’installation de baraquements et de troupes ainsi que les barbelés et la zone interdite rendent Margival comme l’endroit choisi où Hitler avait prévu de diriger l’invasion de l’Angleterre. Il ne rentrera en Allemagne qu’en décembre 1940, après l’annulation en octobre 1940 de « Seelöwe ». Toutefois la zone resta interdite aux habitants de la région. Ce ne fut qu’au mois de décembre 1940 que la circulation fut réouverte sous le tunnel de Vauxaillon. Les travaux commencés en novembre, sont là aussi à prendre en compte. Réalisés par l’entreprise allemande Siemens, qui embaucha pour ce faire de la main-d’œuvre locale ainsi que des prisonniers de guerre français KG . Cette entreprise faisait partie de celle qui travaillait couramment pour le compte de l’OT. Elle effectua de nombreux chantiers à but militaire et stratégique en particulier à Margival.
L’abandon du plan « Seelöwe » rendait le site de Margival inutile, mais la Wehrmacht laissa des troupes pour garder les constructions réalisées, les témoignages le démontrent.
Si les Allemands n’avaient plus de raison d’utiliser Margival ou de cacher certaines choses, les travaux auraient pu être réalisés par une entreprise française sous contrat avec la SNCF.
Avait-il déjà le projet de construire autre chose plus tard ?
Entre 1940 et 1942, année où les gros travaux vont commencer, le site de Margival tombe dans l’oubli. Aucune troupe importante ne vient s’installer dans la région.
1942-1944 seront les deux années où une fourmilière de requis va s’activer autour des centaines de chantiers qui vont se monter dans la région. Dans certains des ouvrages que nous avons le long de la voie Laon - Soissons, nous trouvons, sous les parpaings, une structure en bois du même type que les baraques de Brûly de Pesche. Les murs en béton ont été montés autour des logements existants. Ce qui démontre bien la réutilisation d’ installations antérieures. Le débarquement des anglo-canadiens à Dieppe, le 24 août 1944, encourageait les allemands à prévoir un futur débarquement sur le front de l’Ouest. Dans cette éventualité, Hitler voulait personnellement rejeter les Alliés à la mer. Les installations provisoires de Margival, servirent de base pour la construction du W2.
Il faut attendre août 1944 pour que Margival entre pleinement dans sa fonction de quartier général opérationnel.
Depuis le 6 juin, des mouvements importants d’officiers ont lieu dans les états major de la Wehrmacht. Les contre-offensives ratées en Normandie, sont mises sur le compte de l’incapacité des généraux par un Führer qui perd confiance en son entourage.
L’attentat du 20 juillet, contre Hitler, dans son quartier général de Rastenburg, pousse celui-ci à pratiquer une purge au sein de l’armée. Le Reichsführer Himmler commandant en chef de la SS reçoit les pleins pouvoirs pour mener des enquêtes et amener les traîtres au Reich devant les tribunaux d’exception.
A cette même période, Von Rundstedt est limogé de son poste de commandant en chef de l’OBW et il est remplacé par le Maréchal Von Kluge. Rommel quant à lui blessé le 17 juillet est en convalescence en Allemagne. Il est d’autant plus soupçonné par Himmler d’avoir participé passivement au complot.
Fin juillet 1944, la situation en Normandie est inextricable pour les Allemands. Le front cède sous la poussée alliée. Partout les divisions de la Wehrmacht sont en déroute. Hitler cherche à regrouper autour de lui les officiers qui lui sont restés fidèles. La situation dramatique à l’Ouest tant sur le plan stratégique que sur celui du commandement, l’oblige à chercher l’homme de la situation.
Son choix se pose sur la personne du Maréchal Walter Model, officier entièrement dévoué à son Führer. Le soir même de l’attentat, il fut le premier à renouveler sa fidélité au régime et à son chef.
Model dont la réputation s’est faite sur le front Russe, est l’homme des opérations défensives réussies. D’un tempérament énergique, colérique et grossier, il suscite la haine des cadres autour de lui. Les hommes quant à eux, voient dans cet officier au langage familier un chef apprécié. Toujours là où il y a danger, au milieu de ses hommes, il acquiert son savoir sur le terrain.
Le 17 août 1944, Model remplace Von Kluge qui vient de se suicider : convoqué à Berlin pour enquête sur sa participation passive au complot, il préfère la mort aux tribunaux spéciaux de Himmler . Model prend la place de commandant en chef du front Ouest (OBW), mais aussi le commandement du groupe d’armée B laissé vaquant par l’absence de Rommel. Dés sa prise de commandement, il ordonne que toutes les troupes en retraite stoppent là où elles se trouvent. Il installe une stratégie de bouchon sur les axes principaux des Alliés pour permettre à un maximum de troupes de franchir la Seine et ainsi sortir de la poche de Falaise où les armées alliées avaient décidé de les encercler. Cette tactique va lui permettre de récupérer un nombre important de divisions qu’il a l’intention d’utiliser sur les lignes de résistance autour de Paris. L’objectif que lui a confié Hitler est sans équivoque. Il doit arrêter les Alliés en attendant que les nouvelles armes secrètes donnent la suprématie au troisième Reich sur tous les fronts. Hitler lui a donné les pleins pouvoirs mais il dépend toujours directement du Führer pour ce qui concerne l’envoi des renforts. La Seine passée, Model effectue un repli stratégique sur une ligne de défense qui reprend presque les mêmes positions de la ligne Hindenburg de 1918. Cette ligne de résistance appelée Kitzinger porte le nom de son concepteur, un général de la Luftwaffe. Edifiée à partir de 1943, elle s’étend d’Abbeville à Besançon en passant par Amiens, Soissons, Epernay, Châlons-sur-Marne, Saint-Dizier.
Les installations du W2 vont être inclues dans cette ligne et des constructions supplémentaires doivent être ajoutées. D’abord au Sud en direction de Condé sur Aisne puis au Nord de Soissons sur les hauteurs des plateaux. De nouveaux contingents de requis seront affectés à la réalisation de ces ouvrages.
Des fossés anti-chars sont creusés sur le plateau de Chaudun ainsi que des abris de rondins enterrés. Des tranchées camouflées sont installées sur les plateaux au-dessus de Vierzy. L’organisation Todt est une nouvelle fois mise à contribution.
Le maréchal Model, quitte le château de la Roche-Guyon poste de commandement de Rommel, sous le feu des Alliés le 19 août à 6 heures du matin pour prendre possession du W2. A cette même date les habitants des villages non évacués autour de Margival se souviennent très bien de l’arrivée de troupes allemandes, dont des Panzers, de la Flak et des troupes SS. Celles-ci se camouflent dans les bois alentours et réquisitionnent des habitations dans les villages.
A 11heures 30, le général Speidel devenu chef d’état major de Model, arrive à Margival pour rendre l’infrastructure opérationnelle. Model arrive quant à lui en fin d’après midi à 17 heures.
A cette heure même Margival devient le siège de l’OBW et du groupe d’armée B. C’est aussi le 19 que Hitler fait savoir à Von Choltitz qu’il a pour mission d’arrêter les Alliés à l’Ouest et au Sud-Ouest de Paris. Il dépendra à partir de ce moment du quartier général de Model et sera mis en liaison directe avec Margival. La situation de Model en ce mois d’août 44 est très tendue. Les Alliés dont la supériorité mécanique est écrasante acculent les troupes de la Wehrmacht contre la Seine en Basse Normandie .Von Choltitz installe une défense en hérissons autour de la capitale avec les faibles moyens dont il dispose.
Pour équiper cette ligne de résistance le Maréchal Model demande au Führer l’envoi de divisions en renfort. Celui- ci lui octroie la 26ème et 27ème Panzer division .
Ne recevant d’autres effectifs, il est obligé de racler les fonds de tiroirs pour équiper cette position. Il reconstituera des divisions avec des restes de régiments qui sont en déroute et rassemblera tout le matériel qu’il pourra pour l’équiper. Dans son désarroi et son besoin de troupes expérimentées et fraîches il ira même jusqu’à vouloir déplacer le 629ème bataillon du Führergrenadierbataillon qui assure la sécurité du W2. L’OKW s’opposera à cette solution. A partir du 12 août, l’organisation Todt s’est employée à définir les chantiers prioritaires et à leur attribuer main d’œuvre et matériel. Dés sont arrivée à Margival, Model se lance dans une course contre la montre pour satisfaire aux exigences de son Führer. Du 18 au 20 août, il parcourt tout le front de Normandie pour regrouper ces forces en vue de leurs faire passer la Seine et former une ligne de front entre la Normandie et Paris. Lorsqu’il rentre de cette tournée, le général Speidel, qui commande en son absence l’OBW, lui apprend que les Alliés forts de 53 divisions s’apprêtent à lancer deux grandes offensives. Une de Dreux en direction du Nord et l’autre de Chartres - Orléans en direction de l’Est et au Sud de Paris. En ce qui concerne la capitale, Von Choltitz vient de lui faire parvenir le rapport suivant : « nuit calme, seulement quelques escarmouches isolées dans les premières heures de la matinée ».
Celui-ci veut délibérément cacher le début d’insurrection dans la capitale. Ce même 20 août, il transmet à tous les commandants les ordres qu’il a fait dicter par son chef du 3e bureau le colonel Von Tempelhof. Malheureusement, il omet de faire savoir à Von Choltitz que des renforts lui sont envoyés. Cet oubli sera dramatique pour la suite des évènements. Bien que les ordres d’Hitler soient de défendre à tout prix la tête de pont de Paris, Model prend la décision de faire passer la Seine à ces troupes. Il sait que cet ordre signé de la main même d’Hitler peut engendrer des destructions dans la capitale. Ce lundi à 23h30, au téléphone, il ordonne au gouverneur de Paris : « rétablissez l’ordre dans la ville Von Choltitz ! ».
Le 23 août 1944 à 11 heures du matin les télescripteurs du grand quartier général du Führer de Rastenburg transmettent cet ordre ultra secret au comandant en chef du groupe d’armée Ouest.
Geh. Kommandosache Chefsache
Nur durch Offizier
KR Blitz
O.B. West Ia
Okdo d. H. Gr. B. Ia
A.O.K.1
Pz. A.O.K.5
A.O.K.15
“ la défense de la tête de pont de Paris est d’une importance capitale sur le plan militaire et politique. La perte de la ville entraînerait la rupture de tout le front du littoral au Nord de la Seine et nous priverait de notre base de lancement pour le combat éloigné contre l’Angleterre.
Dans l’histoire, la perte de PARIS a toujours entraîné jusqu’ici la perte de toute la France.
Le Führer réitère donc son ordre : PARIS doit être défendue dans la position-verrou en avant de la ville. Il rappelle pour cela les renforts annoncés pour le commandant en chef à l’Ouest.
Dans la ville même, il faut intervenir avec les moyens les plus énergiques contre les premiers signes de soulèvement, telles que destruction de pâtés de maisons, exécution publique des meneurs, évacuation du quartier menacé ; c’est ainsi que l’on pourra le mieux empêcher l’extension de tels mouvements.
La destruction des ponts de la Seine sera préparée. PARIS ne doit pas tomber aux mains de l’ennemi, ou l’ennemi ne doit trouver qu ‘un champ de ruines.
23.8.44 – 11.00 UhrO.K.W./W.F.St./Op. (H) Nr. 772989/44
Lorsque le transmetteur apporte ce message à Speidel il comprend tout de suite ce que signifie cet ordre. Dans sa folie Hitler veut raser Paris puisqu’il ne peut garder la ville. Après que Model est pris lecture de ce texte il transmit l’ordre à Von Choltitz . Dans le bureau humide de son bunker de commandement Speidel contemple deux peintures représentant Notre Dame et les Tuileries qu’il emporte partout avec lui depuis qu’il les a acheté avant guerre à Paris. Ces merveilles d’architecture seront t’elles rendues à l’état de ruine ? Dans la journée Von Choltitz contacte l’OBW à Margival et demande à parler à Speidel. Il lui apprend que le Grand Palais est en feu, suite aux combats qui se déroulent dans les rues et qu’il a pris connaissance du message. Débité Speidel écoute les directives que le gouverneur du « Gross Paris » vient de prendre pour exécuter l’ordre. Des tonnes d’explosif sont repartis dans tous les monuments et sous tous les ponts de la Capitale. Toutes les troupes sont en état d’alerte maximum. Les chars ont pris position aux endroits stratégiques et ont ordre d’anéantir la résistance des insurgés. Dans la soirée du 23 au QG de Margival aucun renseignement ne parvient à Model concernant l’ordre de mouvement reçu à la 2ème DB et à la 4ème Division US de marcher sur Paris. Ce soir là, Model prendra trois décisions importantes. Il ordonne à la 47ème DI de se regrouper dans la région de Méru-Neuilly-en-Thelle au Nord de la Capitale, et à la 1ère armée de rassembler tous ces éléments blindés dans la région de Meaux pour faire mouvement sur Paris. Enfin, il déplace sur la Capitale la 2ème brigade de canons d’assaut. Ce mouvement de troupes devait permettre à Von Choltitz de tenir en cas d’attaque avant l’arrivée des deux divisions blindées SS. Malgré l’envoi de ces renforts les soldats de la 2ème DB entre dans Paris. L’oubli de Model au sujet de l’envoi de la 26ème et 27ème Panzer division que le Führer accordait à Von Choltitz fut déterminante dans le déroulement des combats libérateurs de la capitale. Ci celui-ci l’avait su, n’aurait t-il pas résister plus longuement pour pouvoir ensuite contre-attaquer ? Où était t-il persuadé de la folie d’Hitler et que la destruction de la plus belle des villes serait un gâchis incommensurable ? Le 25 août à 13 heures dans le bunker des conférences d’état major à Rastenburg, le rapport de situation du front Ouest arrivait dans la matinée de Margival est lu devant le Führer. Il mentionne l’entrée de troupes ennemies dans la capitale et des combats au cœur même de la ville. Apprenant brutalement la nouvelle Hitler entra dans une colère noire qui fut sûrement l’une des plus violentes. Le symbole de tous ces triomphes passés venait de lui être arraché. L’emblème de la toute puissance du III Reich venait de lui échapper et il ne pouvait si résoudre. Il sait bien que la chute du verrou de Paris ouvrira les routes vers l’Allemagne mais obligera aussi le repli des rampes de lancement des V1 qui vont se trouver à portée des Alliés. Cette perspective compromet grandement ces plans de combat à grande distance contre l’Angleterre. Dans sa rage il demande que la ville soit anéantie et il hurle les poing crispés « Paris brûle t-il ? Jodl, Paris brûle t-il ? ». Il ordonne qu’un officier le mette sur le champ en communication avec l’OBW pour que lui soit fait un rapport sur les destructions réalisées dans la ville. Hitler croit seulement que quelques éléments ennemis sont infiltrés dans la capitale et confirme à Model les ordres qui lui ont été donnés : « l’ennemi doit être chassé par tous les moyens ». Avant de faire replier vers l’Est les rampes de V1 il commande à Jodl de préparer une attaque massive d’armes V1 et V2 sur la capitale. Tous les avions disponibles devront parachever les destructions après les fusées : « si la ville tombe aux mains des Alliés se sera à l’état de ruines ». Le 26 août alors que les chars de la 2ème DB défilent dans Paris libéré et que le général De Gaulle descend les Champ Élysée, le téléphone sonne dans le bureau de Model à Margival. Celui-ci est absent car en tournée d’inspection dans la région de Compiègne. L’officier de permanence prend la communication qui vient de la ligne « Blitz » celle qui est directe avec l’OKW de Rastenburg. Au bout du fil Jodl demande à parler personnellement au Maréchal Model. Après explication sur l’absence du Maréchal , Jodl demande à parler a Speidel. Le combiné collé à l’oreille celui-ci écoute consterné : « le Führer demande que l’attaque par armes V1 et V2 préparée la veille soit mis en œuvre immédiatement. Toutes les rampes d’armes V du Pas de Calais, du Nord et de la Belgique doivent déversées sur Paris un déluge de feu ».Jodl informe aussi Speidel que la 3ème flotte aérienne de la Luftwaffe basée à Reims à reçue l’ordre de lancer un raid sur la ville. Après avoir certifié que les ordres seraient transmis au Maréchal Model, Speidel raccroche le combiné. Une telle attaque dans une ville où un million de personnes fête la libération serait un massacre. Speidel sait très bien que Model s’il avait décroché le téléphone aurait transmis dans la minute les ordres. Lui, le docteur en philosophie, amoureux de cette ville où il a étudié, se refuse à obéir et ne transmet pas les ordres à Model. Il sera arrêté par la Gestapo sept jours plus tard.
L’avance alliée fut plus rapide que la réalisation des constructions de la ligne Kitzinger et les troupes américaines ne rencontrent qu’une faible résistance sur cette ligne. Ils se trouvèrent, après la chute de Paris le 25 août, aux portes de Soissons le 27.
Malgré un renfort du groupe d’armée G, Model ne peut tenir sur ces positions. Le 28, il fait passer l’Aisne à ses divisions et se replie. Soissons est pris le 28 par la première armée du Général Hodges. Le soir du 28 août, plusieurs chars américains, du 7ème corps d’armé du général Collins, remontant la côte de Crouy en direction de Laon, sont pris sous le feu des pièces de 88 de la batterie de Flak (Flakstelung A) située au dessus de la ferme de la Pierrière. Ces combats laisseront des victimes sur le terrain. Trois chars Sherman furent détruits. L’état major américain, renseigné par la résistance locale, ne veut pas s’aventurer sur un terrain inconnu. Les informations fournies ne leur permettent pas d’évaluer les forces regroupées à Margival. Il change de tactique et décide d’encercler cette poche de résistance. Deux ailes sont détachées pour prendre l’ennemi à revers. Une envoyée en direction de Vic-sur-Aisne, et l’autre en direction de Fismes, devront encercler les fortifications du W2.
Les troupes allemandes, qui ont reçu du Führer l’ordre de tenir jusqu’au dernier homme le quartier général, installent sur le plateau des tampons anti-char. Entre le 28 et 29 août, trois chars Tigre sont embusqués sur la départementale 14 aux abords de la nationale 2. Ils détruiront, avant de décrocher, un blindé américain au débouché de la ferme de Mennejean sur le plateau de Nanteuil la Fosse. L’explosion mettra le feu à une grange toute proche.
La Flak installée en très grand nombre sur les plateaux et dans les vallées ne reste pas inactive. Elle entrera en action à plusieurs reprises pour effectuer des tirs de destruction sur l’aviation de chasse et de reconnaissance alliées. Paradoxalement, vu le nombre de positions, une seule de celle-ci, installée sur le plateau de Neuville-sur-Margival, sera attaquée et mitraillée par des P38 Lightning.
Devant l’avance continuelle des troupes américaines, Model, quitte le W2 le 28 août à 21 heures 30. Les nuits suivantes, plusieurs soldats allemands se livreront à des pillages dans les villages alentours. Dans la nuit du 31, dans le village de Vaudesson, ces mêmes soldats rançonneront la population sous la menace de leurs armes.
Seuls la malice et le courage des habitants leur permettront de sortir de cette mauvaise passe en ne laissant aux Allemands que quelques billets qu’ils emporteront en « souvenir » dans leur fuite vers le Rhin. Encore une fois dans l’histoire, les carrières du Soissonnais seront dans ces jours tragiques, le refuge inespéré pour des familles en détresse. Le 30 août après midi, Laon libéré, les nazis se trouvant presque encerclés, vont effectuer un repli sur le Nord du département.
Dans leur folie de vengeance aveugle contre la résistance, ils massacrent 21 personnes et détruisent le village de Tavaux. Le 31, c’est au tour de Plomion de subir la barbarie des vaincus, 20 personnes seront prises en otage, 14 seront exécutées et le village quant à lui sera brûlé et mis à sac.L’ironie du sort veut que ce soit le même itinéraire mais dans le sens inverse que les divisions allemandes ont envahi en 1940 notre département, poussant devant elles une armée française en déroute. Sur Margival, aucun soldat allié, à notre connaissance, ne tira une seule cartouche pour enlever l’un des lieux les plus fortifiés, conçu pour accueillir le chef suprême du III Reich.
Les soldats américains découvriront, camouflés sous les arbres, des ouvrages complètement vides, laissés subitement à l’abandon après le départ des troupes de sécurité. Le W2 devient lieu de toutes sortes de pillage, les habitants des alentours s’y précipitent pour essayer d’y trouver des vivres.
Certains de ceux évacués, de retour chez eux, auront la curiosité de se rendre dans cette zone interdite depuis deux ans. Ils seront impressionnés par tous ces bâtiments édifiés sous leur nez, sans qu’ils n’aient vraiment jamais su à quoi ils pouvaient bien servir.
Une autre utilisation tactique aurait pu, si les circonstances avaient été différentes, être attribuée au W2 de Margival. En novembre 1943, Rommel reçoit de Hitler la tâche de superviser et de perfectionner les constructions du Mur de l’Atlantique et prend possession de son quartier général installé à Fontainebleau. Dés le début, il inspecte journellement les travaux déjà réalisés. La fréquence de ses déplacements sur le littoral français, lui fait
parcourir des distances considérables. Très vite, il cherche à se rapprocher le plus près possible des côtes où un éventuel débarquement pourrait avoir lieu.
Friedrich Ruge nous cite que son choix se porta premièrement sur un « camp fortifié près de Laon ». Fin1943, une grande quantité de bunkers est déjà construite à Margival, le tunnel possède ses portes et une partie du site peu devenir opérationnelle. Le témoignage d’un requis m’a appris que le bunker d’Hitler à cette époque était complètement fini. En août 1943, il fut chargé avec son équipe de réaliser sur la toiture un camouflage en dalles de gazon et assista aussi à la manœuvre des portes du tunnel . Un rapport de la résistance du 5 janvier 1944 envoyé à Londres fait état d’une visite de Rommel sur le site du tunnel de Vauxaillon.
Un autre témoignage, d’un habitant de Neuville-sur-Margival, se remémore que cette année là, les villageois furent consignés dans leurs maisons pendant toute une journée avec interdiction absolue de sortir. Pour faire respecter cet ordre, des patrouilles circulaient continuellement dans l’agglomération.
Un rapport au groupe d’armée B reçu directement du Führer fait savoir à Rommel le 7 janvier que celui-ci « n’approuve pas cette proposition » lui empêchant ainsi de bénéficier de ces fortifications.
Le choix du maréchal Rommel, faute de Margival, se tournera vers le château de la Roche-Guyon. Nous pouvons nous poser la question de savoir comment se seraient déroulées les choses si Rommel était venu s’installer au W2 ? La combinaison entre le grand stratège et Margival aurait-elle pu permettre aux Allemands de rejeter les Alliés à la mer ?