Les plans plus ou moins réalistes griffonnés sur une page de cahier d’écolier, ont pu donné aux Alliés une approximation de l’ampleur du chantier. Les divers rapports faits sur la venue du maréchal Rommel, en janvier 1944, transmis par Pierre Nord furent très utiles aux Alliés pour les préparatifs du débarquement. Mais dans l’ensemble peu d’actions furent mises en œuvre contre les fortifications de Margival. Les importantes positions de Flak et leurs imposants dépôts de munitions souterrains, cachés dans les carrières de Crouy, Terny-Sorny et de Laffaux de même que les emplacements de défense terrestre ne furent pas bombardés. Dans le village de Folembray, non loin de Coucy le Château, les Allemands avaient réquisitionné pour en faire un dépôt de vivre la verrerie, qui produisait des isolateurs électriques et les carrières de Bernagouse qu’ils avaient transformé, là aussi, en dépôt de munitions. Le réseau Gauthier fournissait plus facilement des renseignements car la région contrairement à celle de Margival n’avait pas subi d’évacuation.
Les troupes d’occupation avaient pris leurs habitudes et chacun faisait avec. Le retour à la maison après l’exode avait été quelque peu difficile mais les années d’occupations avait rodé les mentalités. En plus des installations de Folembray, les Allemands dissimulaient d’importants stocks de carburant camouflés dans la forêt près de Saint Gobain.
Là aussi, le renseignement fut de grande valeur car en août 44 le dépôt fut bombardé et détruit. Malheureusement en faisant deux victimes civiles, une maman et son bébé qu’elle promenait dans un landau. Dès la réussite du débarquement, les habitants de l’Aisne attendirent avec fébrilité l’arrivée des Alliés. Dans chaque maison, des drapeaux aux couleurs des vainqueurs étaient réalisés avec de vielles robes ou de vieux draps et cachés soigneusement en attendant les libérateurs. Les fêtes nationales des 14 juillet et 11 novembre étaient interdites depuis l’armistice du 22 juin 1940 et si prés de la fin, il démangeait à certains de montrer leurs patriotisme. En ce jour de 14 juillet 1944 à Folembray, le jeune Pierre Ferreira âgé de 15 ans revenant du collège avec ses copains vit un curieux défilé de fête nationale sans autorisation. Un de ces camarades captura une oie blanche dans la rue et avec l’aide de sa mère, lui badigeonna la queue de minium rouge et lui mis autour du cou un nœud de tissu bleu. Fier de son travail, il lâcha la patriotique bête dans la rue principale du village. Cette Marianne à plume remonta tout le village en dandinant, arborant les couleurs de la France. Elle passa devant le café ou des soldats allemands, assis à boire une bière s’esclaffèrent de rire. La chose fit le tour du village, mais la plaisanterie de potache aurait pu être mal pris par un occupant sur le qui vive. Comme cette autre fois où ils décrochèrent un wagonnet sur une voie Decauville et le lancèrent sur la voie qui descendait sur la verrerie. Le fracas qu’il fit en percutant le butoir au bas de la pente mis les Allemands dans une colère noire. Il leur fallut rentrer au village en faisant un grand détour avec la peur d’être arrêter. Tous les renseignements fournis par la résistance de la région aux Alliés, mettait en évidence les positions de Flak qui se trouvaient en construction sur les plateaux du Soissonais. Leurs repérages en étaient plus aisés car elles étaient implantées près des grandes routes ouvertes à la circulation. Les chauffeurs de camion transportant des matériaux entre les chantiers pouvaient donner des informations plus complètes. Les restaurateurs et commerçants de Soissons eux surveillaient les grands hôtels de la ville et les allers et venues d’officiers allemands. Là encore, des ragots complètement faux sur la descente d’Hitler dans un hôtel du centre ville, ont encore la vie dure. Les prisonniers de guerre encasernés dans un camp à Neuville sur Margival faisaient beaucoup parler. Ils travaillaient dans une partie interdite de la commune de Margival, le long de la voie de chemin de fer. Cette activité, que les habitants voyaient de loin, camouflée sous le couvert des arbres, intriguait les Alliés. Les missions de reconnaissances aériennes de la RAF et de l’US Air force ne montraient rien sur les clichés et il fallait que les réseaux du coin trouvent des informations. Une occasion se présenta en mars 1944 quand les Allemands ordonnèrent d’évacuer les huit villages englobés dans le système de défense du W2. Pour se faire, ils firent appel aux autorités de Vichy pour mettre à disposition, des personnes chargées d’aider les habitants à évacuer. Les préfectures firent intervenir les « équipes nationales » crées par Vichy pour aider les populations dans le besoin. Formées de jeunes gens, pour la plupart issus des groupes d’étudiants des clubs sportifs ou de scouts, ces équipes nationales étaient employées au déblaiement après les raids aériens, à l’accueil des réfugiés mais surtout à la propagande de Vichy. De jeunes résistants Soissonais faisant partie de ces équipes nationales sautèrent sur l’occasion pour aller voir de plus près.
Etudiant et membre d’un club d’escrime le jeune résistant du groupe Vélites Thermopyles baptisé Montecristo alias RX 210 fut chargé par son chef de réseau Monsieur Aubrier, qui se trouvait être aussi son professeur d’histoire, de se porter volontaire avec d’autres camarades pour aider à l’évacuation des habitants de Margival.
Leurs missions furent de regarder partout, de visualiser le maximum de choses sur les travaux entrepris par l’organisation TOD , et de retranscrire les observations le soir à son responsable Bernard Douai. Plusieurs étudiants, sous la responsabilité de Montecristo, prirent en charge par équipe de deux des familles de Vregny puis de Margival. Pendant le déménagement des meubles et des affaires, ils découvrirent plusieurs bunkers camouflés en maisons ou cachés dans les granges. Certains disposaient d’entrées directes dans les maisons. Ils remarquèrent aussi la présence de téléphone à l‘entrée de certains. Leurs actions n’étaient que de l’observation, mais deux jeunes d’une équipe sabotèrent, sans prévenir les autres, une ligne téléphonique en coupant les fils. Cet acte stupide et sans aucune valeur, mis en alerte les Allemands qui firent une enquête. Après avoir interrogé les évacués sans résultat, ils se tournèrent vers les équipes nationales. L’affaire fut transmise à la Gestapo qui effectua des arrestations. Etant responsable des équipes qui avait travaillé dans ces villages, Montecristo fut arrêté. La bravoure de ce jeune homme mérite que l’on s’attarde sur son arrestation en avril 1944. Quelques semaines après les déménagements il se trouva assis sur un banc dans le couloir du collège, face au bureau du directeur qu’il avait demandé à voir. Deux hommes de la Gestapo accompagnés de trois Felgendarmes firent irruption dans l’établissement et demandèrent à voir le directeur. La secrétaire les fit entrer dans le bureau où Montecristo entendit qu’ils étaient venus pour l’arrêter. Le chef d’établissement partisan de la résistance leur affirma qu’il était absent depuis le matin. Les hommes demandèrent à voir le professeur responsable. Le directeur les conduisit auprès de celui-ci, ce qui laissa le temps à Montecristo de se sauver. Il rentra chez lui où il prépara une musette, la remplissant de quelques affaires, de tabac et de papier à cigarette. Il savait ce qui allait se passer, mais au lieu de fuir et de prendre le maquis il resta chez lui où la Gestapo viendra l’arrêter le lendemain matin. Je lui ai demandé pourquoi il avait agit de la sorte ? « Si je m’étais enfui, les Allemands auraient pris mon père en otage et je ne le voulais pas ». Il fut transporté au siège de la Gestapo à Soissons où les interrogatoires se succédèrent pendant trois semaines. Subir ce sort à seize ans est une chose qui marque la mémoire et force le respect. Tout le monde connaît les méthodes que les nazis utilisaient pour avoir des renseignements. Au bout de ces trois semaines il fut transféré à la prison de Laon, où il resta trois autres semaines.
*Ancienne prison de Laon. Aujourd’hui transformée en logements appartements. (DL)
* Garage de Coucy le Château où les deux hommes furent abattus. (DL)
* Monument des résistants Émile Hincelin et Anatole et Remi Boitelet. ce dernier avait seulement 17 ans. (DL)
Il me témoigna que lors des bombardements de la gare, les prisonniers étaient descendus dans les sous sol et carrières situés sous la prison. Les résistants eux restaient dans les caves, endroits les moins sûrs, qui pouvaient s‘effondrer si une bombe tombait sur le bâtiment. Au bout de ces six semaines, le deuxième jeune homme qui avait saboté les fils se dénonça pour qu’un innocent ne soit pas puni à sa place et Montecristo fut relâché, sans avoir parlé. Il pris aussitôt le maquis dans une ferme de Osly-Courtil. Les deux saboteurs furent envoyés dans les camps, d’où, ils ne revinrent jamais. Il est des hommes, comme le métal, qui plus on frappe dessus plus ils deviennent durs. En août 1944, le jeune Montecristo passera plusieurs fois derrière les lignes allemandes pour espionner les positions ennemies et transmettre les informations aux Alliés.
Les observations qu’ils avaient pu effectuer ce jour là en mars 1944 furent plus précieuses à la résistance que le sabotage de quelques malheureux fils de téléphone. Malgré tout, les renseignements étaient faibles lorsque les Américains sont entrés dans Soissons et Margival restés toujours un point noir dans la défense allemande. En septembre 1944, il eut l’occasion de pénétrer dans le W2. « quelques jours après la libération de Soissons ,je me suis rendu dans un bunker de transmission à Margival. Il y régnait un désordre incroyable, sûrement dû au départ rapide des Allemands et aux pillages des lieux. J’y ai récupéré quelques paquets de cigarettes. Ce qui m’a impressionné, c’est la grandeur et la qualité des constructions. Les bâtiments étaient camouflés sous les arbres et invisibles vu du ciel.
A cette époque, nous ne savions pas à quoi pouvait servir Margival, nous pensions que c ‘était un point de résistance comme les Allemands en avaient fait en 14/18 ».
La recherche d’informations, au profit des Alliés, ne fut pas la seule activité des groupes autour de Margival. Le groupe Gautier mit en place une action visant à tuer Hitler en personne. Les ragots sur les chantiers avaient bien sûr trouvé une oreille attentive et un plan de guet-apens fut élaboré. Ce groupe faisait parti des mieux armés. Il disposait de plusieurs dizaine de fusils, mitraillettes et même deux mitrailleuses lourdes récupérées sur un avion abattu, ainsi que des explosifs en grande quantité. Leur but était de tendre une embuscade lorsque Hitler viendrait visiter le W2.
Pour avoir le maximum d’informations, ils leur fallaient aussi pouvoir pénétrer dans la zone interdite. Deux des membres, aux noms de code Brennus et Desplats, se firent embaucher comme garde d’écluse à Vauxaillon. Les Allemands utilisaient, pour monter la garde sur les écluses comme bouclier humain contre les terroristes, des civils français jumelés avec des gendarmes. Ils leur fournissaient de vieux fusils de chasse à canon sciés, inoffensifs à longue distance. Ces deux hommes firent la connaissance en mai 44, d’un sous officier allemand du régiment Gross Deutchland en poste au bureau d’administration de Vauxaillon, qui avait la langue bien pendue. Il leur appris la venue du Führer, en personne, pour diriger les opérations de contre offensive en cas de débarquement des Alliés à l’Ouest . Le groupe devait, dans l’hypothèse d’une action, intercepter la voiture blindée d’Hitler, neutraliser la garde rapprochée et tuer le chef du IIIème Reich. Ne pouvant savoir le jour et l’heure de l’arrivée, une observation des mouvements de véhicules fut mise en place. S’ ils ne pouvait l’intercepter à l’arrivée, ils pourraient peut être l’atteindre au moment d’un déplacement. Un nombre important d’agents fut mis en place pour surveiller toutes les voies d’accès à la région de Margival ainsi que de tous les aérodromes du département. Des liaisons avec d’autres groupes furent faites car les hommes manquaient pour une telle affaire.
Essayons de visualiser cette opération pour mieux en comprendre les difficultés. Des résistants à leur poste d’observation voient des véhicules d’état major passer sur un axe routier X. Rapidement, ils doivent transmettre l’information au chef de réseau qui doit définir le type d’action, le nombre d’hommes, le matériel à utiliser et le lieu de l’embuscade. Les axes routiers menant à Margival sont nombreux ils viennent : de Laon ou Soissons (RN2), Chauny (D1), Reims (RN31) ou Juvincourt ( D18). Lorsqu’une tactique est définie, il faut que le groupe puisse se rendre aux lieux choisis avec armes et matériels sans attirer l’attention des Allemands, puis attendre que le convoi repasse. Pour qu’un tel plan marche, il aurait fallu avoir des informations transmises très rapidement. N’oublions pas que les résistants se déplaçaient le plus souvent à bicyclette. Les laissez-passer que les deux résistants possédaient, leur permettaient seulement de se rendre par le chemin le plus court de la limite de la zone interdite jusqu’à l’écluse et non de se déplacer dans toute la zone. Le canal de l’Aisne à l’Oise où ils travaillaient, est à la limite de la zone interdite au nord de Vauxaillon. Le convoi aurait très bien pu ne pas repasser par où il était venu, obligeant à mettre plusieurs embuscades en place simultanément et augmentant ainsi les effectifs. Le débarquement en Normandie chamboula les projets. Les Alliés avaient plus besoin, que la résistance neutralise les voies de ravitaillement des Allemands, que d’un attentat contre Hitler ( ils furent prévenus du projet longtemps après le 6 juin). le 7 juin le groupe Gautier reçoit la mission de détruire un train de carburant à destination de l’aérodrome de Crépy-Couvron, camouflé en forêt sur une voie de garage à Nogent-sous -Coucy. Sa destruction est impossible directement, tant la garde est importante. Il décide de détruire la ligne de chemin de fer. L’aiguillage de Landricourt est saboté interdisant tout déplacement du convoi. Malheureusement, ce sabotage se fait à quelques kilomètres de la zone interdite de Vauxaillon, ce qui ne manque pas d’alerter les agents de la Gestapo. Le 8 juin, deux faux résistants, soit disant recherchés et faisant partis d’un groupe d’Hirson, se rendent chez Raoul Gautier, pour que celui-ci, les aide à se cacher. Ils lui fournissent des informations et mots de passe que seuls des résistants peuvent connaître. Informations qu’ils ont dû avoir de partisans arrêtés et torturés par les services de renseignements nazi. Ces deux hommes de la Gestapo se sont infiltrés dans le réseau grâce à des membres de celui-ci qui se sont laissés berner. A 17 heures, un soldat allemand vient à la boutique pour acheter des accessoires de bicyclette, mais surtout pour savoir si Monsieur Gautier est encore là. Le même soir, Raoul et un autre membre du groupe Gautier, Daniel Lefèvre, son chez lui autour de la TSF pour entendre les messages personnels pour la résistance émise par la BBC. Pendant ce temps, Coucy le Château est investi par la Wehrmacht. Des soldats font irruption dans la maison et abattent dans le jardin les deux hommes qui essaient de fuir. Le réseau est décapité, certains membres sont arrêtés ainsi que madame Gautier et sont déportés vers l’Allemagne. J’ai pu rencontrer lors d’une conférence à Crépy en Valois un cousin de la nièce de Raoul Gautier. Cette dernière lui a témoigné que ce serait des Français qui auraient abattu son oncle en juin 44. Milice de vichy ou Français de la Gestapo ? Son âge avancé et sa santé ne permirent pas que je lui pose d’autres questions.L’infiltration du groupe par la Gestapo ne se fit pas en une journée. Nous savons que des mouchards faisaient circuler de faux bruits pour attirer les naïfs. Il n’est pas concevable de penser que les Allemands aient construit un tel complexe sans se douter que des fuites se produiraient. Ils leur étaient simple de contrôler ces fuites pour remonter la filière jusqu’à la tête et faire tomber tout le réseau. Ce travail leur a sûrement pris des mois et le sabotage de l’aiguillage fut le révélateur de la mise en action du groupe Gautier. Les deux membres Brennus et Desplats réussirent à se sauver et rejoignirent les Alliés. Aujourd’hui, il faut rendre hommage à de tels hommes qui ont fait don de leurs vies pour que nous puissions être libres. Malheureusement, tous les actes de résistance dans notre département, n’ont pas eu un tel écho et seulement quelques monuments sur le bord des routes nous rappellent que quelques uns ont subi une mort atroce au nom d’une France qui se voulait libre. Le 30 août 44, trois hommes sont arrêtés à Laon sur dénonciation. Un père, son fils et un ami résistant, eux aussi, sont saisis par les Allemands le matin au retour d’une opération de sabotage. Ils sont emmenés en camion sur la route de St Quentin et sont fusillés sur le bord de la route. Entre Soissons et Vic sur Aisne, se sont des membres de la Croix Rouge qui sont mitraillés par des SS en fuite alors qu’ils se rendaient sur le lieu d’une attaque pour secourir les blessés. L’occupant dans sa fuite a commis des actes de barbarie que l’Histoire ne pourra jamais excuser.