La conférence d’Hitler le 17 juin 1944.
Nous avons vu dans un autre chapitre que les constructions de Margival furent réalisées pour abriter un quartier général d’Adolf Hitler.
L’utilisation de cette infrastructure, reste très mystérieuse car nous n’avons que très peu d’archives sur les évènements qui s’y sont déroulés. Le fait le plus important de son fonctionnement fut sans aucun doute la conférence qui s’y déroula le 17 juin 1944 et qui réuni autour d’Adolf Hitler les maréchaux Rommel et Von Rundstedt, les généraux Jodl, Speidel, Schmundt, et Blumentritt ainsi que leurs officiers d’état major. Le contenu de cette conférence comporte beaucoup de points d’interrogations. Les écrits relatant les discussions qui s’y sont déroulées sont différents selon le point de vue allemand ou allié. Pour réaliser une synthèse, je me suis tourné vers un maximum de références pour être le plus objectif possible. En vérité, peu de personnes contemporaines, ont écrit sur le sujet. Côté allemand, nous trouvons les écrits contestés du général Speidel, qui dans ses mémoires relate la conférence. Ensuite, nous trouvons le vice-amiral Friedrich Ruge qui dans son ouvrage sur Rommel, nous donne quelques renseignements sur l’état d’esprit du maréchal au retour. Puis les mémoires d’Albert Speer ministre et architecte d’Hitler. Et enfin, le rapport officiel de l’OKW qui nous fait un récit mot pour mot des propos tenus entre Hitler et ses maréchaux. Du côté allié, je me suis tourné vers les ouvrages écrits par Desmont Young, officier anglais, qui réalisa une biographie sur Rommel et sur celui de Georges Blond, ancien officier, des forces françaises libres qui réalisa un livre sur le Débarquement. Mes recherches m’ont aussi conduit vers des écrivains et historiens locaux, qui pour la plupart, n’ont fait que reprendre le rapport de l’OKW en y apportant leurs points de vue personnel.
Pour aborder cette partie qui fut la plus importante du site de Margival, par le simple fait de la venue d’Hitler, il faut se remémorer le contexte de l’époque. Nous sommes en juin 1944 à J + 11 du débarquement allié en Normandie. Les deux têtes de pont américaine et anglo-canadienne ont réussi à percer les défenses du Mur de l’Atlantique et combattent maintenant la Wehrmacht dans la campagne Normande. Après la surprise passée du 6 juin, les Allemands ont essayé de se ressaisir en envoyant quelques renforts sur le front de Normandie. La supériorité des alliés aussi bien en hommes qu’en matériels, place les Allemands dans une position stratégique de combats retardateurs dans le bocage et les haies. Tout le monde se souvient de la colère d’Hitler à son réveil le matin du 6, qui empêcha ses généraux de demander, l’envoi en renfort des deux panzer divisions stationnés dans le Pas-de-Calais. Panzer division qui auraient pu empêcher l’implantation d’une tête de pont alliée le jour J.
* Adolf Hitler et son chef d’état major le général Jodl à gauche . (Web)
Rommel quant à lui, se trouve ce jour là en Allemagne et ne put que parer au plus urgent. Depuis le 6, chaque jour apporte aux Allemands, malgré les contres-attaques incessantes, son lot de défaites. Les têtes de ponts alliées se renforcent de plus en plus grâce aux ports artificiels qui permettent le débarquement incessant de matériels. L’état major allemand à l’Ouest (OBW) dépend pour l’envoi de renforts, du grand quartier général du Führer de Rastenburg où Hitler conduit avec l’aide de ses officiers d’état major la guerre sur tous les fronts. Depuis le débarquement, les points de vue de Rommel et de Von Rundstedt et ceux de l’état major divergent sur les stratégies à employer pour repousser l’invasion alliée. Au lieu de déplacer les panzer divisions du Pas-de-Calais qui sont les plus proches, Hitler préfère faire remonter du centre de la France des divisions qui seront ralenties continuellement par la résistance française chargée de détruire tous les axes de communication utiles aux Allemands. En plus de cet état de fait, une divergence personnelle entre Von Rundstedt commandant en chef du front ouest et Hitler les oppose dans la direction des opérations.
Rommel, quant à lui, depuis son arrivée sur le Mur de l’Atlantique en novembre 1943, n’a cessé d’implorer que soit instauré un commandement unique pour la Wehrmacht regroupant la Heere, la Kriegsmarine et la Luftwaffe pour faciliter l’établissement de ce mur. Bien que la propagande allemande en ait fait le symbole du Mur de l’Atlantique, Rommel ne possédait aucun pouvoir de commandement si ce n’est sur celui du groupe d’armée B (VII et XV armées). Chaque jour la situation allemande devient de plus en plus dramatique et la résistance qu’elle montre à Cherbourg et à Caen ne peut durer éternellement. Rappelons nous que le complexe de Margival fut créé pour que le Führer puisse de ce lieu commander personnellement la contre-offensive en cas de débarquement à l’Ouest.
Après le 6, Von Rundstedt et Rommel demandèrent avec insistance auprès de l’OKW que le Führer se rende sur le front de Normandie pour prendre pleinement conscience de la situation. Heureusement, toutes leurs demandes devaient d’abord passer entre les mains des officiers Keitel et Jodl chefs d’état major du Führer, qui n’étaient pas en très bons termes avec les deux maréchaux du front Ouest. Depuis les échecs de l’Afrika-Korps, Rommel a perdu de son aura auprès du Führer et il commençait à devenir à ses yeux un pessimiste notoire quant à la valeur offensive de l’armée allemande sur le déroulement futur de la guerre. Rommel avait pendant longtemps admiré les capacités innées de stratège qu’Hitler avait employées depuis 1939. Les revers de l’armée allemande en Russie, Afrique, Italie et les incompréhensions sur le déroulement des plans de la Wehrmacht avaient diminué l’opinion qu’il avait sur le Führer. Depuis le 6 juin, les erreurs tactiques imposées par Hitler, le déroutent de plus en plus et il a l’impression que l’OKW ne prend pas bien la mesure des risques de la tête de pont alliée. Malgré l’insistance de ses généraux, Hitler fait la sourde oreille. Ou bien se sont ses généraux d’état major qui interfèrent dans la transmission des rapports. Le 12 juin Rommel décide d’envoyer au Führer un rapport complet sur la situation et sur les dispositions à prendre pour enrayer l’avance alliée.
* Von Rundstedt, et Rommel. (Web)
Dans ce rapport, il préconise un repli de l’armée allemande derrière la rivière Orne pour y former une ligne de résistance élastique. Pou*r faire parvenir ce rapport directement entre les mains du Führer, Rommel utilisa ses relations particulières qu’il avait avec l’aide de camp d’Hitler le général Rudolf Schmundt. Ce fut sûrement ce rapport qui influença Adolf Hitler à convoquer ses généraux à Margival le 17 juin 1944. Voyons ensemble une partie du contenu du rapport de Rommel:
« la force à terre de notre ennemi s’accroît avec une vitesse beaucoup plus grande que celle de nos réserves pour atteindre le front…pour le moment, le groupe d’armées doit se contenter de former un front cohérent entre l’Orne et la Vire et laisser l’ennemi s‘avancer…
Impossible de relever les troupes tenant encore certaines positions côtières… Nos opérations en Normandie seront rendues exceptionnellement difficiles et même partiellement impossibles par la force extraordinaire- pour ne pas dire la supériorité écrasante- des forces aériennes alliées et par les effets de l’artillerie lourde de marine… Comme les officiers de mon état- major et moi même l’avons personnellement prouvé à plusieurs reprises et comme le démontrent les rapports des chefs d’unité, en particulier de l’Obergruppenführer sepp Dietrich, l’ennemi possède le contrôle complet du front. Presque tous nos transports sur route ou en rase campagne sont arrêtés de jour par d’importantes formations de chasseurs et de bombardiers. Nos mouvements dans le secteur de combat sont pratiquement paralysés de jour alors que l’ennemi se déplace en toute liberté… Ils nous est difficile d’amener les munitions et les vivres… les positions d’artillerie, les déploiements de chars, etc…sont immédiatement bombardés et neutralisés… Les troupes et les état-majors sont obligés de se cacher le jour… notre défense anti-aérienne, pas plus que la Luftwaffe, ne paraissent en mesure de contrecarrer ces opérations paralysantes et destructives des forces aériennes ennemies …
L’effet de l’artillerie lourde de marine est si grand que toute opération par l’infanterie ou les formations de chars est rendue impossible dans le secteur qu’elle couvre de son feu…
* le Führer bunker en septembre 1944, avec son camouflage. (Renoult)
L’équipement des Anglo-Américains qui comporte de nombreuses armes nouvelles et un important matériel de guerre, est de loin supérieur à celui de nos divisions. Comme l’Obergruppenführer Sepp Dietrich me l’a signalé, les divisions blindées ennemies conduisent la bataille d’une distance supérieure à trois kilomètres avec le maximum de dépense de munitions et un magnifique appui des forces aériennes… Les troupes parachutées ou aéroportées sont utilisées en si grand nombre et avec une telle efficacité que nos troupes attaquées éprouvent les plus grandes difficultés à se défendre… La Luftwaffe n’a malheureusement pas pu agir contre ces formations ainsi qu’il avait été prévu à l’origine. Comme l’ennemi peut paralyser nos formations mobiles de jour avec son aviation alors que lui-même opère avec des forces extrêmement mobiles et des troupes aéroportées, notre situation est en train de devenir extraordinairement difficile.
« J’insiste pour que le Führer soit informé de tout ceci ». Rommel.
Une autre chose très importante que nous devons prendre en compte, est le désaccord sur la stratégie à mettre en œuvre sur le front de Normandie qui oppose Rommel et von Rundstedt. Le premier est convaincu que la Normandie n’est qu’une première attaque faite pour obliger les Allemands à déplacer leurs troupes, pour ensuite attaquer en masse dans le Pas-de-Calais. Point de vue que partage Hitler. Le deuxième lui, est persuadé que se sera le seul débarquement et qu’il faudrait regrouper toutes les forces disponibles pour une contre-attaque massive avant que les Alliés puissent recevoir des renforts plus importants.
Après le débarquement, le 9 juin, Von Rundstedt réussit à convaincre Hitler de lui donner la XV armée qui se trouve dans le Pas de Calais pour lancer une contre offensive en Normandie. Le même jour un ordre du Grand Quartier Général du Führer permet la mise a disposition de cette armée sous le commandement de Von Rundstedt. Le 10 juin un agent Double, ( Garbo), du contre espionnage allié, qui a depuis le début du plan Fortitude, infiltré les services d’espionnage allemand de l’Abwehr, envoie un vrai faux message codé stipulant que l’armée « fantôme » du Général Patton embarque dans les ports du sud de l’Angleterre pour un débarquement imminent dans le Pas de Calais. Hitler, influencé par Keitel et Jodl, annule le mouvement de la XV armée. Cette décision même tardive aurait pu mettre en danger la tête de pont alliée, mais sont annulation creusa encore plus de différends entre Von Rundstedt et Rommel.
Comme je l’ai dit au début du chapitre plusieurs versions de cette conférence furent rapportées. Nous allons les voir une à une dans leur texte intégral, que j’ai tiré de plusieurs ouvrages .
Le premier et le plus officiel est celui fourni par le compte-rendu de l’OKW qui fut transmis aux archives militaires allemandes et qui nous est arrivé en ces termes.
« Commandant I.G. Von Ekesparre.
I.B.H.GR.B17-06-1944
Rapport sur la conférence du Führer.
Le 17-06-1944 de 9 heures 30 à 12 heures 30.
A la vue d’une carte portant les positions du débarquement des forces alliées ennemies, la position de leurs propres troupes, la valeur et la position des mouvements de troupes, on ne peut encore parler, en ce qui concerne l’infanterie, de divisions tactiques, mais seulement de troupes de combat.
L’introduction de nos réserves ainsi que la 21è division blindée a été très difficile à cause de la supériorité des forces aériennes ennemies.
La 21è Panzer Division ne pouvait plus traverser Caen. Le colonel Hermann Oppeln-Bronikowski, commandant le régiment de chars, remontait et redescendait le long de la colonne, en volkswagen. La ville était en ruine. Les décombres bloquaient les rues, Boinikowski eut l’impression que toute la ville était en mouvement et cherchait à fuir.
Les rues étaient embouteillées d’hommes et de femmes en bicyclettes. Les panzers perdirent tout espoir. Bronikowski essaya de se replier pour contourner la ville. Ce mouvement lui ferait perdre des heures. Il n’y avait pas moyen de faire autrement.
L’ennemi bombarde où et quand il veut. Par conséquent, nos troupes ainsi que le ravitaillement n’ont pu être introduites que la nuit, ainsi, selon un plan pré établi, l’ennemi sera intercepté ce jour.
Le char devient, en Normandie pour ainsi dire le noyau de l’infanterie. Chaque section d’infanterie, chaque compagnie, chaque détachement de combat ne formera plus qu’autour d’un char, on ne put concevoir l’enlèvement d’une position sans l’appui d’un char, mais pas davantage non plus sa défense. Les contre-attaques locales pour rejeter un ennemi ayant pénétré dans la position, ou pour conquérir des points d’appui perdus ayant une particulière importance tactique, devinrent presque exclusivement l’apanage des chars isolés.
L’ennemi dispose déjà de 26 divisions en réserve, d’une puissante artillerie et lance-grenades ; il combat avec les mêmes méthodes qu’en Afrique. Dwight Eisenhower essaye d’obtenir le succès en introduisant en ligne un matériel supérieur.
Des troupes parachutistes sont installées derrière le front. Il existe une forte pression en direction de Cherbourg. La mise en action par l’ennemi de grandes unités d’infanterie de marine et d’artillerie et particulièrement gênante cette dernière empêchant une percée de nos blindés, dès qu’ils approchent de leur portée.
L’ennemi consolide immédiatement ses positions au cours de son avance, en minant puissamment. Notre aviation a effectué une faible poussée jusqu’à leur poste de commandement. Nous n’avons eu aucune reconnaissance aérienne et le débarquement allié n’a pu être évité de jour.
La nuit, l’ennemi consolide ses grandes unités. Notre défense anti-aérienne, ayant eu au départ de grandes difficultés, s’est peu à peu confortée.
Il ne fait aucun doute que les fortifications qu’on nous avait promises seraient très souhaitable ! En règle générale, la population française se comporte loyalement.
Le chef de l’administration militaire donne à cet effet plus d’explications et, devant la situation, demande l’autorisation du Führer, de retirer notre front de la moitié nord de la presqu’île du Cotentin en direction de Cherbourg. Le Führer établit qu’il ne pourra être remédié à l’isolement de la presqu’île du Cotentin, suivant la situation présente, à cause de notre totale infériorité aérienne qui, en bref, n’est numériquement pas compensée. Le führer consent au but des rapporteurs de l’OBW (Von Rundstedt et Rommel NdlA).
*salle de la conférence dans l’état où elle était en septembre 1944. (Renoult)
Il constate en outre que la forteresse est particulièrement affaiblie sur le front.
Il réquisitionne les forces suffisantes afin de les faire entrer dans les places fortes.
La 77è division doit rejoindre la forteresse, et non la 17è Panzergrenadierdivision SS.
Le retrait de ces mêmes troupes a pour but de combattre avec succès. Il faut tenir la forteresse la plus longtemps possible. Autant que possible jusqu’à la mi-juillet environ. C’est le commandant particulièrement le plus compétent qui sera affecté.
Il est préférable de tenir la forteresse en un bloc homogène, plutôt que de laisser arracher nos forces de leur position initiale.
Il faut toutefois essayer de tenir avec l’aviation, aussi longtemps que possible, les parties nord-ouest et nord-est. En cas de danger de percée de l’ennemi on devra faire sauter les batteries fixes. Les troupes devront s’éloigner des bastions. Il faudra transporter dans la forteresse au moyen des camions militaires et de la marine, toutes les munitions d’artillerie et d’infanterie.
Un changement de situation est possible par l’interruption de l’intendance de l’ennemi ou en rejetant ses forces maritimes.
A cet effet, le Führer ordonne sans aucune autre considération, le mouillage de nouvelles mines au moyen de la flotte et de l’aviation, entre le Havre et la Côte Est du Cotentin, afin que l’ennemi soit dans l’impossibilité de sillonner librement l’élément maritime.
Pour notre propre flotte, ce territoire maritime n’a de toute façon plus aucune importance.
Le Führer établit en même temps et fermement, que, du côté de la marine, et en ce qui concerne cette entrée en ligne, l’attitude de la marine à cet égard a été trop hésitante.
D’autre part, et dès que possible (6 semaines environ), il est dans l’intention d’engager une attaque avec de nouvelles bombes,(NdlA : V1) contre le débarquement et ses unités constituées. Par l’exécution des deux mesures, le contrôle de Cherbourg prendra tout son sens. Chaque jour gagné dans la défense de la forteresse et très précieuse pour l’ensemble de l’opération. Pour le reste du front, le Führer souligne que le règlement de la situation vers l’Est de l’Orne, semble important.
10 heures 30 – OBW porte un jugement sur une question du Führer en l’occurrence, les autres possibilités de débarquement de l’ennemi :
AWB. La défense du front est faible, le débarquement ennemi est possible.
Pour l’AOK15. La défense est plus forte qu’en Normandie. Cependant, il ne dispose pas de liaison rapide suffisante à sa disposition. L’ennemi ne rencontrera donc pas de difficulté importante.
En Bretagne et pour L’AOK1. Et l’AOK19, le débarquement est bien possible à ces endroits là, notre propre force est trop faible. Cependant chez l’AOK1. , le débarquement est improbable.
Le Führer est d’avis que l’ennemi n’emploiera pas ses réserves tant que celles-ci ne pourront être mises en liaison avec le commandement. Le fait qu’il ait déjà installé en Normandie toutes les unités expérimentées dont il dispose confirme qu’il s’est déjà profondément fixé ici. Il est possible que l’ennemi, suite aux combats à distance maintenant commencés soit amené à débarquer près de AOK15.
Sur une interrogation du Führer, en vue de projets plus vastes concernant le commandement actuel, l’OBW sollicite les consignes suivantes (manque cette partie du texte dans le rapport).
L’élargissement des têtes de pont est à éviter dans tous les cas. Des modifications tactiques sur le développement sur notre propre front doivent être amenées d’après la situation.
Pour l’attaque des têtes de pont nos réserves sont prêtes à être mises en place (chef D.GEN.St OBW déclare à cet effet que le Führer a donné son consentement).
Il est dans l’intention de mener l’attaque afin que la tête de pont de l’Est soit fendue et, selon la situation, rejetée vers l’Est ou l’Ouest.
OBH Gr. B( NdlA :Rommel) met en garde contre l’élargissement de notre propre front qui par là nécessiterait l’utilisation de l’arme blindée.
Proposition : entrée en ligne de la division d’infanterie sur la zone de l’Orne, l’entrée en ligne actuelle de la division blindée à l’Ouest de Caen doit être maintenue et préparation des réserves des unités aériennes constituées.
Après avoir déployé nos forces, il faut éviter le combat seulement au Sud, pour attaquer l’ennemi assaillant de flanc et pour frapper le secteur de l’artillerie de marine ennemie.
Pour conclure, le Führer souligne qu’il faut parvenir à tenir le front Sud de la presqu’île du Cotentin, si possible jusqu’à l’étendue Nord au niveau des marais (prairies marécageuses de Gorges). Il est exclu de conduire les combats sur la tête de pont Caen – Carentan, puisque l’ennemi détruirait tout grâce à sa supériorité matérielle en ligne.
C’est pourquoi les régions maritimes de la tête de pont doivent être interdites à l’ennemi par tous les moyens (mines) et l’installation de nouvelles armes aériennes, afin de couper le ravitaillement de l’ennemi, et de permettre notre propre contre-attaque.
12 heures 00 : Suit, en liaison avec le commandement général du 65è corps d’armée, un rapport sur les combats à distance (texte non fourni, intervention du général Heinemann et monologue de Hitler sur les armes V).
Suit un repas commun.
Vers 15 heures. Le führer prend congé ».
* Vue sur le Führer bunker et sur le chalet au-dessus. (Catrou Denis)
Pour bien analyser ce rapport, il faut avant tout se familiariser avec les abréviations militaires allemandes, puis avec l’organigramme hiérarchique de celle-ci, mais aussi avec les sentiments et les aversions que les uns ont par rapport aux autres .
Nous allons les détailler hiérarchiquement en partant du sommet de la pyramide.
1) : Adolf Hitler : chancelier du IIIè Reich commandant suprême de toutes les armées allemandes sur tous les théâtres d’opérations.
Depuis 1937 il commande seul les stratégies militaires.
Il se méfie de ses généraux depuis les reculs en Russie, Afrique et Italie.
Von Rundstedt le désignait comme « le caporal de Bohême ».
2) : OKW : (Oberkommando der Wehrmacht) commandement suprême de toutes les armées, commandant en chef maréchal Keitel. Grand Quartier général, Rastenburg.
Officier supérieur dévoué corps et âme au Führer.
3) : WFST : (Wehrmachtsführungsstab) état major des troupes opérationnelles, commandant en chef général Jodl. Quartier général, Rastenburg.
Comme Keitel est lui aussi dévoué au Führer.
4) : OBW : (Oberbefehlshaber West) Commandant en chef de l’armée allemande sur le front ouest.
Quartier général, Saint-Germain-en-Laye.
Commandant en chef maréchal Von Rundstedt.
Officier issu de l’aristocratie Prussienne, est en mauvais terme avec Rommel qu’il considère comme un boy scout. Officier peu aimé de ses subordonnés.
5) : OKH : (Oberkommando der Heeres) commandement suprême de l’armée de terre. Quartier général, Fontainebleau
Commandant en chef maréchal Von Kluge.
6) : AOK : (Armee Ober Kommando) commandement suprême d’une armée.
Le nord de la France était sous l’occupation de l’AOK 15 : XV armée allemande.
Quartier général Tourcoing.
Commandant en chef général Von Salmuth.
7) : OBH Gr B : (Oberbefehlshader der Heeres Gruppe B) Commandement en chef d’un groupe d’armée.
OBH Gr B était composée de la VII et XV armées.
Quartier général, château de La Roche-Guyon.
Commandant en chef maréchal Rommel.
Officier sorti du rang, ancien combattant de la première guerre, il n’avait pas de sympathie pour les officiers de la caste aristocratique tel que Von Rundstedt.
Le texte de ce rapport nous dévoile uniquement les paroles du Führer. En aucun cas, il n’est fait mention de contestation des officiers présents à la conférence, si ce n’est celle faite sur les promesses qui n’ont pas été tenues. Nous constatons certaines censures qui sont intervenues dans la retranscription du rapport relatives aux nouvelles armes.
Hitler aborde bien le sujet mais elles sont dénommées bombes. En effet, depuis peu (13 et15 juin) des V1 sont envoyées sur Londres pour bombarder la ville. Une suggestion du Führer pour les utiliser contre les ports anglais et têtes de pont américaines est émise, mais dans un délai de six semaines. Cette hypothèse ne pouvait être mise en application car à cette époque les rampes de lancement sont fixes et toutes orientées vers Londres. De plus, dès leur construction, par mesure de sécurité les Alliés ne sachant pas de quelles nouvelles armes il s’agissait vraiment, les détruisaient automatiquement . La principale préoccupation d’Adolf Hitler ce 17 juin retranscrit dans ce rapport est le renforcement des effectifs sur la ville de Cherbourg pour empêcher les Alliés de la prendre. Ceux-ci ont besoin d’un port en eaux profondes pour débarquer leur matériel lourd. Sa décision d’envoyer la 77 division d’infanterie au lieu d’une division blindée sera désastreuse. Cette 77 DI ne dispose pas de l’intégralité de son matériel offensif et subira pendant son déplacement des pertes importantes dues aux harcèlements de l’aviation alliée. Ce port sera pris par les Américains le 27 juin 1944 après que les Allemands l’aient complètement saboté.
A 10h30, Von Rundstedt revient sur la possibilité qu’un autre débarquement puisse avoir lieu.
Depuis le 10 juin et l’annulation du plan Cas III A concernant le déplacement de la XV armée il ne cessait de dire que cette attente statique était une folie. Ce 17 juin 44 le plan Fortitude intoxique toujours les décisions du Führer.
* Vue de gauche de la façade du chalet « teehaus » avant qu’il soit détruit. (Web)
Ensuite, nous avons les rapports qui furent retranscrits par les Alliés. Les textes divergent radicalement du compte-rendu allemand. Ils sont pour la plupart inspirés des mémoires du général Speidel.
Tout d’abord, le texte qui se trouve dans l’ouvrage de George Blond.
« 17 juin 1944 à 3 heures du matin, l’auto du maréchal Rommel, une fois de plus couverte de la boue et de la poussière des champs de bataille de Normandie, s’arrêta devant le château des Ducs de la Roche-Foucauld, à la Roche-Guyon. Le Maréchal rentrait d’une tournée d’inspection de vingt et une heures dans le Cotentin. Son chef d’état major, le général Hans Speidel l’attendait avec un message à la main. »
-« Monsieur le Maréchal nous devons nous trouver aujourd’hui à 9 heures au poste de combat W II, près de Margival, au Nord de Soissons. » Le maréchal Von Rundstedt et son chef d’état major s’y trouveront également.
-« Ah ! dit Rommel. J’imagine que nous rencontrerons aussi là une autre personne ? C’est bien cela ? ».
Hans Speidel inclina affirmativement la tête, « c’est bien cela ».
Hitler, cédant enfin à l’insistance de ses deux maréchaux, acceptait de s’entretenir avec eux autrement que par téléphone.
Dès que Rommel et son chef d’état major (Speidel) descendirent de voiture, ils se trouvèrent au milieu du commando de SS de la garde personnelle du Führer. Ses hommes les firent pénétrer dans le QG fortifié et derrière eux, verrouillèrent l’entrée.
Von Rundstedt et son chef d’état major, le général Blumentritt, étaient déjà arrivés. Jodl se trouvait là aussi, ainsi que d’autres militaires de l’entourage d’Hitler. Dans la grande salle du PC, tout le monde se tenait debout. Hitler seul était assis sur un tabouret.
Il avait le visage gris et tiré, et paraissait nerveux. Il tenait ses lunettes dans ses mains et les remuait constamment. Il accueillit les arrivants par quelques mots de salutations, rapides et froids. Puis, ayant constaté que l’assemblée était au complet, il commença un monologue.
Le succès du débarquement allié était hautement regrettable et, même, inadmissible. Des fautes avaient certainement été commises. Les planeurs transportant des troupes alliées auraient normalement dû être détruits dans une proportion de 80%. Les alliés n’auraient même pas du prendre pied sur les plages. Si les garnisons armant les points fortifiés avaient réellement fait leur devoir rien de semblable ne serait arrivé. Ces garnisons avaient été certainement surprises en plein sommeil. Ensuite, les panzers n’avaient pas contre-attaqué avec l’énergie désirable…
A mesure qu’il parlait, Hitler élevait la voix ; le monologue devenait discours.
-En tout cas, conclut-il, tout recul doit maintenant cesser. Nous ne devons plus céder un pouce de terrain.
Les deux maréchaux avaient écouté dans un profond silence. Il s’était attendu à une sortie de ce genre, il savait qu’il devrait la subir. Mais il pensait que maintenant que leur chef suprême se trouvait au milieu d’eux, il pourrait s’expliquer mieux et plus longuement qu’au téléphone.
Rommel en particulier, avait hâte de le faire. D’un coup d’œil, Von Rundstedt le comprit, et il proposa que le chef du groupe d’armée B prit le premier la parole, en qualité du commandant du front d’invasion, pour un exposé au Führer.
Hitler leva vers Rommel un visage où se lisait une sorte de curiosité méfiante.
* Hans Speidel (Web)
-Oui, dit-il
-Il n’y a rien à reprocher à nos troupes dit Rommel…
Le combattant du désert parla « avec une franchise totale ».
Ce qui importait d’abord, pensait-il, s’était d’ouvrir les yeux du Führer ; de faire prendre conscience de la réalité au dictateur visionnaire qui prétendait commander de Berchtesgaden les mouvements des armées sur un théâtre d’opération qu’il ne connaissait que par la carte. Non, les garnisons du mur de l’Atlantique n’avaient pas été surprises en plein sommeil. Dans l’ensemble, elles avaient tenu courageusement sous les terrifiants bombardements alliés. Il s’était trouvé un grand nombre de soldats pour, une fois le pilonnage préliminaire terminé, prendre leur place derrière les canons et les mitrailleuses. Mais les moyens mis en œuvre par les alliés étaient véritablement colossaux. Leur aviation était maîtresse du ciel. Rommel insista comme il convenait sur cette suprématie aérienne qui avait constamment retardé, parfois complètement interdit, les mouvements des divisions appelées sur le lieu de la bataille.
D’ailleurs, pourquoi avait-on tant tardé, à Berlin, à autoriser la constitution du premier corps blindé SS sous un commandement unique ? Maintenant, la supériorité tactique des alliés était, dans tous les domaines, plus écrasante encore qu’au début. Dans le secteur de Caen, ils mettaient constamment en ligne de nouvelles forces…
-Quelle est la situation dans ce secteur ? Demanda brusquement Hitler. Pourquoi n’avez- vous pas contre-attaqué ? Les Anglais n’ont là que peu de terrain derrière eux. Vous auriez dû les rejeter à la mer.
-Nous avons contre-attaqué. Malgré l’aide que les Anglais reçoivent de leur aviation, nous les avons contenu et même refoulé en certains points. Il est vrai qu’ils n’ont que peu de terrain derrière eux, mais, dans une certaine mesure, cela leur est un avantage : les 406 (NdlA millimètre du calibre des canons) des cuirassés britanniques interviennent dans la bataille et ils arrêtent nos blindés. L’offensive alliée est bloquée devant Troarn, Caen, Tilly-sur-Seulles, et au Sud de Caumont. Dans le Cotentin, nous avons repris Montebourg, mais ce n’est qu’un succès local et provisoire. Nous ne pourrons pas tenir longtemps de ce côté. Les blindés américains poussent vers Barneville, à l’Ouest de la péninsule, pour la couper. La chute de Cherbourg est inévitable.
-Les forteresses doivent être défendues jusqu’à la dernière goutte de sang, dit furieusement Hitler. Et vous ne me proposez rien de positif.
-Si. Le front de Caen doit être retiré derrière l’Orne. Au lieu de lancer de nouvelles troupes dans ce piège qui est maintenant pour nous le Cotentin, nous devons adopter une défense élastique au Sud de cette péninsule. Une contre-attaque générale est possible si elle est organisée à l’échelle stratégique, avec liberté totale pour le commandement du front de Normandie, et si on nous envoie de l’aviation ainsi que des divisions cuirassées prélevées sur la quinzième armée. Il n’y aura pas d’autre grand débarquement au Nord de la Seine…
-Il peut y en avoir. En tout cas, je ne n’autorise aucun repli, nulle part !
Hitler s’était levé. Il se mit à marcher de long en large, l’air excédé. Puis il s’arrêta, et l’expression de son visage changea.
-Vous n’avez aucune idée de ce qui va se produire, dit-il d’un ton prophétique. Les fusées V et d’autres armes nouvelles nous donneront la victoire.
Et il commença un nouveau discours, sur le thème suivant :
Londres allait être réduit en poussière par les armes VI, et l’Angleterre serait contrainte de demander la paix. Il reprit cette idée sous plusieurs formes différentes, parlant avec une exaltation désordonnée. Et les VI n’étaient pas les seules armes mortelles pour les alliés : dans les laboratoires allemands, des savants en préparaient d’autres mille fois plus terrifiantes… (NdlA V2).
-Pourquoi ne pas employer les VI contre la tête de pont alliée ? demanda Von Rundstedt.
-Qu’on fasse venir Heinemann, dit Hitler. Il est ici.
Le général d’artillerie Heinemann était le chef responsable de l’emploi des armes V. Introduit il écouta les questions des maréchaux. (NdlA les armes V1 étaient sous la responsabilité de la Luftwaffe alors que les V2 étaient sous la responsabilité de la Heere puis des SS, ce qui ralentissait énormément l’élaboration des projets).
-Il serait risqué d’employer les V1 contre la tête de pont, répondit-il. La dispersion est encore trop grande : de 15 à 18 km. Nos troupes seraient exposées.
-Ne pourrait-on pas du moins les employer contre les ports du Sud de l’Angleterre ? Insista Rommel. Cela nous aiderait directement.
Hitler intervint.
-Non. C’est Londres que nous devons atteindre. La destruction de Londres contraindra les anglais à demander la paix.
Rommel et Von Rundstedt commençaient à se sentir découragés. Le dictateur-visionnaire refusait d’abaisser son regard sur la réalité de la bataille de Normandie ; il le tenait fixé sur un avenir de victoire par les V1 et les armes secrètes que lui seul apercevait, qui était la seule réalité à laquelle il voulait croire. Lorsque Rommel reparla de la terrible efficacité de l’aviation alliée, il eut une moue d’incrédulité. Rommel dit sèchement :
-vous nous demandez d’avoir confiance, mais on n’a pas confiance en nous. (NdlA Rommel fait allusion aux interférences que l’entourage d’Hitler faisait entre celui-ci et les maréchaux du front de l’Ouest).
Et il ajouta que les membres du haut commandement ne pouvaient, des bureaux de Berlin se représenter la véritable situation à l’Ouest. « Devant ce reproche Hitler changea de couleur, mais resta muet. »
La conférence fut interrompue par le déjeuner. Des fenêtres de la salle à manger, situées au-dessus du PC bétonné, on découvrait la cathédrale de Soissons. (NdlA : en avril 2008 la commune de Laffaux a fait abattre les peupliers qui se trouvaient en contre-bas du chalet et nous avons pu apercevoir dans la trouée, qu’effectivement, on apercevait entre les deux collines au loin, les flèches de Saint Jean des vignes de Soissons).
Le repas fut frugal. Pour Hitler, une grande assiette de riz et de légumes. Un SS de sa garde personnelle goûta le plat avant lui. Deux SS se tenait debout derrière sa chaise.
La conversation se poursuivit, les maréchaux insistant sur la double nécessité de recevoir des renforts et d’avoir les mains libres à l’Ouest. Hitler parla encore des V1 et il annonça que de nouveaux avions de chasse à réaction, qui seraient bientôt mis en service, balayeraient du ciel les appareils alliés. A ce moment, un SS vint annoncer ;
-Alerte aérienne.
(NdlA : à cette date sur les terrains d’aviation allemand de Juvincourt Damari et Crepy-Couvron des escadrilles de M 110 sillonnaient l’espace aérien de Margival pour le sécuriser).
Le déjeuner étant terminé, tout le monde descendit dans l’abri. (NdlA : le chalet où fut pris le repas se trouve en effet sur une plate forme au-dessus du bunker d’Hitler).
Rommel reprit la parole, cette fois non sur la situation à l’Ouest, mais sur la situation de l’Allemagne dans la guerre. Selon lui, elle était désespérée. L’isolement diplomatique de l’Allemagne était catastrophique. Ni le front de l’Est, ni le front Italien, ni le front de l’Ouest ne pourraient tenir indéfiniment. En continuant à combattre partout avec acharnement et à condition qu’on adopta une stratégie souple, les armées allemandes pouvaient seulement retarder la victoire alliée. Cette marge de temps devait être mise à profit pour obtenir une paix acceptable. Hitler interrompit brutalement son maréchal :
-Cela ne vous regarde pas. Occupez-vous plutôt de votre front d’invasion.(NdlA : depuis quelques temps Rommel, par l’intermédiaire du général Speidel, était en contact avec les généraux conspirateurs).
-J’ai aussi à parler d’Oradour-sur-Glane, dit froidement Rommel. Je demande l’autorisation de punir la division SS Das Reich, qui a exercé des représailles inadmissibles. De pareilles choses salissent l’uniforme allemand.
Hitler devint tout rouge :
-Ne vous mêlez pas de cela ! Cria-t-il. Ce n’est pas votre secteur !
Von Rundstedt intervint pour appuyer Rommel. La France devrait être traitée autrement.
Il n’était pas politique de soulever l’hostilité active de l’ensemble de la population. La tâche des armées allemandes n’en serait pas facilitée.
-Cela me regarde, dit Hitler. Je sais ce que j’ai à faire.
Il ajouta :
-Je pense que nous en avons terminé.
Et ayant pris congé froidement des généraux, il quitta la pièce.
Son aide de camp en chef, le général Schmundt, ne le suivit pas immédiatement. Il avait assisté à toutes les discussions sans intervenir, mais Rommel et Von Rundstedt savaient qu’il paraissait impressionné par certains de leurs arguments.
-« Je crois qu’il serait bon que le Führer se rende, par exemple, à la Roche-Guyon, dit Schmundt à Rommel. Vous convoqueriez quelques commandants des unités du front et le Führer les entendrait. Il pourrait ainsi avoir des informations absolument directes sur la situation. Voulez-vous arranger cela ? Je vais m’en occuper de mon côté. Téléphonez demain à Saint-Germain.
-Entendu, dit Rommel.
Il était 16 heures. Von Rundstedt et Rommel quittèrent le poste de combat WII avec leurs chefs d’état major.
Le lendemain matin, Rommel appela le QG Ouest comme convenu. Le général Blumentritt lui répondit.
-Alors, demanda Rommel, l’horaire de la visite dont il a été question est-il fixé ?
-Non. Le Führer est rentré directement à Berchtesgaden.
-Comment ?
-Oui. Vous recevrez un message explicatif.
Le message arriva dans la matinée. La raison du retour précipité en Allemagne était la suivante : la veille, peu après le départ des maréchaux, une fusée VI, lancée d’une rampe du Pas-de-Calais avait pris une mauvaise direction par suite d’un dérèglement de son gyroscope et était venu exploser près du poste de combat WII.
L’explosion du VI n’a causé que peu de dégât parce que personne ne s’était trouvé à proximité du point de chute. Mais Hitler, s’il avait décidé de faire une petite promenade au lieu de demeurer dans son PC bétonné, aurait pu s’y trouver. Le chef de la garde SS ne pouvait supporter cette pensée.
Il avait insisté pour qu’on parte sans plus attendre, pour que le Führer reprenne le chemin de Berchtesgaden. Hitler s’était laissé convaincre, non qu’il craigne tellement le danger, mais les conférences avec ses généraux qui discutaient ses directives, qui ne croyaient plus aveuglement à son génie, lui étaient horripilantes.
Dans ce texte le ton change radicalement et nous ne sommes plus devant une discussion entre militaires placés devant une situation délicate. Les parties censurées dans le texte de l’OKW sont ici retranscrites, et de nouveaux intervenants font leur apparition. Hitler arrive le premier, suivi de Von Rundstedt puis de Rommel accompagnés de leurs chefs d’état major. La nervosité du Führer et le ton qu’il emploie montre que cette conférence n’est pas pour lui plaire. Le quartier général est, quant à lui, mis sous la protection d’un détachement de SS. A cette date, le W2 n’est pas complètement fini, car des habitants présents dans les alentours à cette époque m’ont affirmés qu’en Juillet 1944 des requis travaillaient encore sur les chantiers. Seules les batteries de Flak étaient plus ou moins terminées et opérationnelles. Si ce déplacement du Führer avait été prévu, ce ne serait pas des SS mais des membres du Führerbegleitbattailion qui auraient eu à charge la protection du W2 ( bataillon spécial constitué pour la protection des camps avancés du Führer pendant les campagnes du début de la guerre, qui était chargé de la protection des quartiers généraux quand le Führer s’y trouvait. Rommel pendant la campagne de Pologne avait commandé ce bataillon). L’hypothèse émise par Hitler dans le premier texte devient celle de Rommel quand à l’utilisation des V1 contre les têtes de pont alliés, pour après se contredire et affirmer que c’est Londres qu’il faut détruire. L’intervention du général Heinemann camoufle la vérité sur les V1. Beaucoup de ceux lancés, tombèrent en mer ou explosèrent au décollage, mais Hitler veut en faire les armes de la victoire. Les longs monologues qu’il fait, montrent aussi qu’il est venu pour imposer son point de vue et affirmer que lui seul commande toutes les armées. Une intervention de Rommel sur l’envoi de blindés et la mise en place d’un commandement unique met en évidence les divisions au sein des trois armées qui ralentissent les opérations. L’intervention de celui-ci, quant à la politique du Führer concernant l’Allemagne, met Hitler en furie. Depuis quelque temps, Rommel et d’autres Généraux ont compris qu’Hitler ne pouvait continuer la guerre dans de telles conditions et qu’il fallait qu’une sortie diplomatique soit envisagée. Hitler et les hauts dignitaires du Reich savaient que cette hypothèse n’était pas réalisable compte tenu du sort des Juifs et de la solution finale. Aucun des Alliés ne cautionneraient ces massacres. De même, son intervention sur le massacre d’Oradour et le besoin de le punir ne le concernait pas. Ce problème était plus celui de Von Rundstedt que le sien, c’est le commandant en chef de l’OBW qui aurait dû aborder le sujet. Von Rundstedt voulait-il mettre Rommel encore plus en porte-à-faux face à Hitler ? Le rapport envoyé le 12 ne laissait planer aucun doute quant aux opinions de Rommel face au débarquement ce qui le plaçait déjà dans une position délicate ce jour là. Il est aussi fait mention d’un V1 qui serait tombé près du bunker de Hitler, et qui aurait été la cause du départ de celui-ci. Ce jour là, une bombe volante V1 est bien tombée dans les environs, des rapports de la Luftwaffe et de la SD en font mention, mais un chapitre y sera consacré plus loin.
Pour compléter notre bibliographie, nous allons voir maintenant ce que Desmond Young relate dans son livre biographique sur Rommel.
* Requis STO installant une voie de chemin de fer sur le Mur de l’Atlantique. (Web)
Le 17Juin Von Rundstedt persuada Hitler de présider une conférence à Margival, près de Soissons. Von Rundstedt y amena Rommel. Les deux maréchaux parlèrent franchement et ne laissèrent aucun doute à Hitler de ce qu’ils pensaient de la perspective du rejet de l’envahisseur à la mer. Loin de pouvoir réaliser ce projet, le seul espoir d’empêcher une rupture était de se retirer derrière l’Orne et établir un front jusqu’à Granville sur la côte Ouest du Cotentin. Un tel front, courant à travers le bocage - campagne cloisonnée de haies épaisses – puis à travers des collines boisées, pourrait peut-être tenir par de l’infanterie. Les blindés seraient alors organisés et mis en réserve. La réplique de Hitler : « pas de retraite », fut presque automatique. Rommel ne détendit pas l’atmosphère en élevant une protestation auprès de Hitler pour « l’incident » d’Oradour-sur-Glane qui s’était passé la semaine précédente. En représailles pour le meurtre d’un officier allemand, la division SS Das Reich avait enfermé les femmes et les enfants dans l’église et mis le feu au village. Comme les hommes et les adolescents jaillissaient des maisons en flammes où ils avaient été parqués, ils avaient été abattus à la mitrailleuse. Le feu ayant été mis à l’église, six cents femmes et enfants y périrent. Il était malheureux, admettaient les SS, qu’il y ait eu deux villages du nom d’Oradour et qu’on se fut trompé en tombant sur celui qui n’avait aucune responsabilité dans le meurtre. Les représailles n’en avaient pas moins eu lieu. Rommel demanda l’autorisation de punir la division. « De pareilles choses salissent l’uniforme allemand, dit-il. Comment s’étonner de la force de la résistance française agissant dans notre dos lorsque la conduite des SS pousse chaque français un peu conscient à la rejoindre ? ». Hitler aboya : « ne vous mêlez pas de cela. Ce n’est pas votre secteur. Résister à l’invasion voilà votre travail . »
La conférence pris brusquement fin lorsque Von Rundstedt et Rommel, avec beaucoup d’audace, essayèrent de soulever la question des ouvertures de paix aux puissances occidentales. Les adieux ne furent cordiaux ni d’un côté ni de l’autre.
Peu après, l’explosion d’un VI endommagea le quartier général. Elle ne causa, malheureusement aucune perte.
* Intérieur de l’abri anti-aérien ou la conférence du 17 continua pendant l’alerte aérienne. ( Guilbert A )
Dans ces lignes, qui elles aussi sont inspirées des mémoires de Speidel, nous retrouvons les passages sur les réflexions au sujet du repli sur l’Orne et du massacre d’Oradour comme dans le texte de Blond. L’auteur a beaucoup moins ici romancé les mémoires de Speidel.
Nous retrouvons aussi notre V1, qui ici, est tombé sur le quartier général. Dans l’ensemble les propos sont presque similaires. Entre le rapport officiel de l’OKW et les écrits des deux auteurs les traductions divergent. Placée, soit du côté Allemand ou Allié, cette conférence fut-elle, vraiment décidée en amont ou improvisée, et pour quelles raisons Hitler convoque t-il ces maréchaux à Margival ?
Dans l’ouvrage de Rochus Misch, celui-ci raconte, qu’après le débarquement en Normandie, Hitler se rend le 16 Juin 1944 à Metz mais sans connaître le but exact de cette visite. Le 17 Juin, le quartier général n’était toujours pas fini et incomplètement opérationnel, pour recevoir le Führer, dans des conditions optimales de sécurité. Ce fut sûrement la raison du départ d’Hitler aussitôt la conférence finie et en aucun cas la chute d’un V1.
Dans le texte de George Blond il est dit que Speidel attendait Rommel le 17 à 3 heures du matin sur les marches du château de la Roche-Guyon pour le prévenir de la conférence. Dans le texte de Desmond Young, c’est Von Rundstedt qui emmène Rommel à la conférence, qu’il a réussi à avoir entre le Führer et ses maréchaux à Margival.
Les raisons et les résultats de cette conférence avaient-ils été vraiment anticipés par Hitler ?
A cette époque, il faut prendre aussi en considération l’état d’esprit de camaraderie et de subordination qui régnaient au sein des états majors allemands.
Cet état d’esprit des uns envers les autres influença, après le débarquement, les rapports et décisions qui furent pris par les états majors. Un officier allemand rapporta un jour « que s’était celui qui sortait le dernier du bureau du Führer qui avait raison ».
La rigueur très militaire du rapport de l’OKW permit à l’armée allemande d’effacer de ses archives les réflexions défaitistes qu’auraient pu émettre les officiers. Hitler avait l’habitude de relire les compte-rendu de réunion et de modifier ce qui le dérangeait. La situation en Normandie depuis le 6 Juin devenait insoluble pour le grand quartier général d’Hitler. Après avoir envoyé les renforts nécessaires, la situation n’avait pas évolué et l’intoxication de l’armée allemande grâce au plan Fortitude avait déstabilisé Hitler dans ses décisions.
Allait-il y avoir un autre débarquement dans le Pas de Calais ?
Le 9 Juin, Von Rundstedt avait enfin réussi à convaincre Hitler de déclencher le plan Cas
III A. Plan qui mettait à sa disposition la XV armée du Pas-de-Calais pour la déplacer sur la Normandie. Cette XV armée avait été spécialement armée et entraînée pour arrêter le débarquement que Hitler attendait dans le Nord de la France, mais il fut annulé le 10.
Rommel, quant à lui, ne recevait plus les renforts qu’il espérait. Nous pouvons penser qu’entre le 10 et le 17 Von Rundstedt d’un côté et Rommel de l’autre ne cessèrent d’appeler l’OKW pour bénéficier individuellement des faveurs du Führer. Celui-ci, ne supportant plus l’arrogance de l’un et le défaitisme de l’autre, décida opportunément de se rendre en France, sans que personne d’autre, hormis son entourage direct, ne soit prévenu.
Il quitta Berchtesgaden le 16 et atterrit à Metz dans la soirée. Pendant la nuit il se rendit à Margival en voiture blindée. Ce fut sûrement à ce moment là, qu’il fit prévenir les états majors pour que les maréchaux et officiers soient présents le lendemain 17 à 9 heures du matin à Margival.
Pourquoi cette visite à Metz ? S’il avait prévu cette conférence il aurait très bien pu atterrir le 17 au matin sur l’aérodrome moderne de Juvincourt ou de Crepy-Couvron, où des escadrilles de « Messerschmitt 110 » pouvaient assurer son escorte. Ces aérodromes situés à 30 km de Margival étaient sûrement plus près que Metz. Malheureusement pour les Allemands, ceux-ci furent la cible de bombardements le 16 juin en fin d’après midi, ce qui empêcha l’avion d’Hitler d’y atterrir.
Ce furent les escadrilles de ces aérodromes qui assurèrent la protection de l’espace aérien de la région du W2 le jour de la conférence. Cette protection n’empêcha pas qu’une alerte aérienne oblige le Führer et ces maréchaux à se réfugier dans l’abri anti-aérien accolé à la salle de la conférence.
Si un bombardement avait eu lieu, il aurait été plus dirigé contre les batteries de Flak situées sur les plateaux aux alentours, que contre le W2. A cette époque, les Alliés ne disposaient pas de certitude sur la destination et l’utilité des constructions de Margival.
L’état de nervosité d’Adolf Hitler et le ton qu’il employa lors de cette conférence, les trois rapporteurs nous l’ont bien fait ressentir. Leurs écrits montrent que le Führer n’était pas venu pour discuter de stratégie et de mouvements de troupes mais plutôt pour imposer ses visions.
Depuis le débarquement, il sentait la division se faire de plus en plus entre ses maréchaux et généraux. Le 17 Juin à Margival, il était venu pour leur montrer à tous, que c’était lui le chef et que c’était lui qui dictait les choses. Speidel le soir de la conférence relata quelques termes employés par le Führer. « ne pas parler d’une tête de pont, mais du dernier morceau de territoire français qu’occupe l’ennemi ».Les opérations militaires allemandes qu’elles soient terrestres, maritimes ou aériennes décidées ce jour là, ne firent que ralentir quelque peu l’avancée des Alliés. Les directives prises à Margival n’ont eu aucune incidence sur le cours de la libération de la France. Les armes V (V1, V2, V3 et avions à réaction) furent mal utilisées et ne furent pas celles de la victoire. L’état d’esprit des généraux de l’armée allemande et leur division sur les stratégies à employer n’en furent pas non plus amélioré.
Rommel ce soir là, pendant une promenade avec le vice amiral Ruge lui parla de la conférence. « Le Führer projette une contre attaque grandiose. Il croit que l’adversaire ne tiendra pas au-delà de cet été ». « Rommel dira Ruge, a dépeint la situation sans ménagement. Hitler, très optimiste et très calme, la juge autrement et a manifestement impressionné quelque peu le maréchal » .Ruge n’est pas dupe devant le discours de Rommel. Il le connaît suffisamment pour comprendre que ces paroles sont faites pour ne pas démoraliser son subordonné.
Je voudrais revenir sur le fait que le W2 de Margival, fût conçu et construit pour recevoir le guide suprême du III Reich, et lui permettre grâce à sa technologie moderne, de mener les troupes allemandes vers la victoire sur le front de l’Ouest après un débarquement Alliés. Aucune archive ne nous est parvenue pour nous dire où Hitler se rendit après la conférence. Est-il resté sur place ? Le bunker de la conférence disposait de tout le confort pour que le Führer puisse y séjourner ou s’est-il rendu ailleurs ? Un rendez-vous au siège de l’OBW était prévu le lendemain à St Germain en Laye. Friedrich Ruge encore dans son ouvrage, nous dit : « Au petit déjeuner nous apprenons que Hitler, abandonnant son intention de venir à notre Q.G., est reparti pour Berchtesgaden dès le 18 au matin, parce que, dans la nuit, un V1 ayant dévié de sa trajectoire, a fait explosion aux environs du lieu où il se trouvait ». Aux alentours de Margival, mais toujours dans le périmètre de sécurité plusieurs endroits pouvaient accueillir le Führer.
Le château de Vregny, qui avait été aménagé pour Himmler, disposait d’un bunker anti-aérien, de batteries de Flak et de troupes. Le château de Mailly, siège de la WOOL et du SD mais conçu pour Von Rundstedt, disposait des mêmes avantages. Les deux lieux pouvaient l’accueillir. Un autre lieu peut aussi être mentionné. Une demeure bourgeoise à l’entrée du village de Neuville sur Margival, elle aussi près des mêmes infrastructures, aurait pu être utilisée. Cette hypothèse fut transmise de bouche à oreille par des habitants de la région. Cette possibilité ne peut en outre être retenue que comme légende car les habitants de ce village furent évacués en mars 44 ce qui rendait impossible la présence d’un témoin oculaire.
L’ endroit exact où tomba ce V1 dans la nuit du 17 au 18 juin est le marais près de la ferme de St Guislain sur la commune de Allemant située à 3 kilomètres à vol d’oiseau de Margival. Cette arme qui devait être celle de la victoire, mais dont la conception n’était pas complètement finie, aurait pu mettre un terme à la seconde guerre mondiale. La suprématie de l’armée allemande, quant à elle, était belle et bien sur le point de finir.
Une chose est pourtant sûre, Hitler a repris son avion sur l’aérodrome de Crépy Couvron où une escorte l’a accompagnée jusqu’en Allemagne. L’explosion de ce V1 fut-elle la seule raison du départ de Hitler ? Ne serait-ce pas plus l’insistance de ces généraux et de sa garde, le sachant à la merci d’une attaque de troupes aéroportées, qui l’aurait poussé à partir ?
Dans son livre « Au cœur du III° Reich » Albert Speer raconte son entrevue qu’il eut avec Hitler le 18 juin 1944.
Hitler avait déterminé personnellement l’emplacement de ses quartiers généraux. Il justifia en ces jours où il allait perdre la France, les énormes moyens mis en œuvre en faisant remarquer qu’un de ces quartiers généraux au moins était situé exactement à la frontière occidentale de l’Allemagne et pourrait s’intégrer dans un système de fortifications. Le 17 juin, il visita ce quartier général situé entre Soissons et Laon, baptisé W2 pour revenir le même jour à l’Obersalzberg (donc le 17 et non le 18 comme le dit Ruge. NdlA). Il se montra de méchante humeur : « Rommel n’est plus maître de ses nerfs, il est devenu pessimiste. Aujourd’hui seuls les optimistes peuvent arriver à un résultat » après de telles remarques, le renvoi de Rommel n’était plus qu ‘une question de temps. Car Hitler considérait encore que la ligne de défense qu’il avait mise en place en face de la tête de pont était toujours invincible. Il me déclara, ce soir là, que W2 lui semblait trop peu sûr, situé au milieu d’une France infestée de résistants.
Ce dernier texte, issu des mémoires de l’architecte et ministre de l’armement d’Hitler, ne parle absolument pas de la chute du V1. Si le Führer avait assisté à cette mésaventure, il aurait sûrement dû en parler à Speer qui était par sa fonction responsable des travaux sur les armes V. Mais il n’oublia pas de discréditer Rommel et le potentiel de Margival. Toutes les questions sont possibles sur les choses qui se sont vraiment passées pendant la présence du Führer à Margival.
Chacun y a rajouté quelques lignes ou suppositions mais l’histoire ne retiendra seulement que la venue d’Adolf Hitler en France, onze jours après le débarquement, ce qui ne changea pas le cours de la guerre.
* Photo de la voie de chemin de fer Soissons – Laon prise pendant l’hiver 44 ou 45. A gauche l’entrée du tunnel camouflet, à droite le chalet. Au milieu le quai qui permettait la descente du train et le Führer bunker invisible sous sont camouflage. ( Seidler – Zeigert )
Nous avons vu dans un autre chapitre que les constructions de Margival furent réalisées pour abriter un quartier général d’Adolf Hitler.
L’utilisation de cette infrastructure, reste très mystérieuse car nous n’avons que très peu d’archives sur les évènements qui s’y sont déroulés. Le fait le plus important de son fonctionnement fut sans aucun doute la conférence qui s’y déroula le 17 juin 1944 et qui réuni autour d’Adolf Hitler les maréchaux Rommel et Von Rundstedt, les généraux Jodl, Speidel, Schmundt, et Blumentritt ainsi que leurs officiers d’état major. Le contenu de cette conférence comporte beaucoup de points d’interrogations. Les écrits relatant les discussions qui s’y sont déroulées sont différents selon le point de vue allemand ou allié. Pour réaliser une synthèse, je me suis tourné vers un maximum de références pour être le plus objectif possible. En vérité, peu de personnes contemporaines, ont écrit sur le sujet. Côté allemand, nous trouvons les écrits contestés du général Speidel, qui dans ses mémoires relate la conférence. Ensuite, nous trouvons le vice-amiral Friedrich Ruge qui dans son ouvrage sur Rommel, nous donne quelques renseignements sur l’état d’esprit du maréchal au retour. Puis les mémoires d’Albert Speer ministre et architecte d’Hitler. Et enfin, le rapport officiel de l’OKW qui nous fait un récit mot pour mot des propos tenus entre Hitler et ses maréchaux. Du côté allié, je me suis tourné vers les ouvrages écrits par Desmont Young, officier anglais, qui réalisa une biographie sur Rommel et sur celui de Georges Blond, ancien officier, des forces françaises libres qui réalisa un livre sur le Débarquement. Mes recherches m’ont aussi conduit vers des écrivains et historiens locaux, qui pour la plupart, n’ont fait que reprendre le rapport de l’OKW en y apportant leurs points de vue personnel.
Pour aborder cette partie qui fut la plus importante du site de Margival, par le simple fait de la venue d’Hitler, il faut se remémorer le contexte de l’époque. Nous sommes en juin 1944 à J + 11 du débarquement allié en Normandie. Les deux têtes de pont américaine et anglo-canadienne ont réussi à percer les défenses du Mur de l’Atlantique et combattent maintenant la Wehrmacht dans la campagne Normande. Après la surprise passée du 6 juin, les Allemands ont essayé de se ressaisir en envoyant quelques renforts sur le front de Normandie. La supériorité des alliés aussi bien en hommes qu’en matériels, place les Allemands dans une position stratégique de combats retardateurs dans le bocage et les haies. Tout le monde se souvient de la colère d’Hitler à son réveil le matin du 6, qui empêcha ses généraux de demander, l’envoi en renfort des deux panzer divisions stationnés dans le Pas-de-Calais. Panzer division qui auraient pu empêcher l’implantation d’une tête de pont alliée le jour J.
* Adolf Hitler et son chef d’état major le général Jodl à gauche . (Web)
Rommel quant à lui, se trouve ce jour là en Allemagne et ne put que parer au plus urgent. Depuis le 6, chaque jour apporte aux Allemands, malgré les contres-attaques incessantes, son lot de défaites. Les têtes de ponts alliées se renforcent de plus en plus grâce aux ports artificiels qui permettent le débarquement incessant de matériels. L’état major allemand à l’Ouest (OBW) dépend pour l’envoi de renforts, du grand quartier général du Führer de Rastenburg où Hitler conduit avec l’aide de ses officiers d’état major la guerre sur tous les fronts. Depuis le débarquement, les points de vue de Rommel et de Von Rundstedt et ceux de l’état major divergent sur les stratégies à employer pour repousser l’invasion alliée. Au lieu de déplacer les panzer divisions du Pas-de-Calais qui sont les plus proches, Hitler préfère faire remonter du centre de la France des divisions qui seront ralenties continuellement par la résistance française chargée de détruire tous les axes de communication utiles aux Allemands. En plus de cet état de fait, une divergence personnelle entre Von Rundstedt commandant en chef du front ouest et Hitler les oppose dans la direction des opérations.
Rommel, quant à lui, depuis son arrivée sur le Mur de l’Atlantique en novembre 1943, n’a cessé d’implorer que soit instauré un commandement unique pour la Wehrmacht regroupant la Heere, la Kriegsmarine et la Luftwaffe pour faciliter l’établissement de ce mur. Bien que la propagande allemande en ait fait le symbole du Mur de l’Atlantique, Rommel ne possédait aucun pouvoir de commandement si ce n’est sur celui du groupe d’armée B (VII et XV armées). Chaque jour la situation allemande devient de plus en plus dramatique et la résistance qu’elle montre à Cherbourg et à Caen ne peut durer éternellement. Rappelons nous que le complexe de Margival fut créé pour que le Führer puisse de ce lieu commander personnellement la contre-offensive en cas de débarquement à l’Ouest.
Après le 6, Von Rundstedt et Rommel demandèrent avec insistance auprès de l’OKW que le Führer se rende sur le front de Normandie pour prendre pleinement conscience de la situation. Heureusement, toutes leurs demandes devaient d’abord passer entre les mains des officiers Keitel et Jodl chefs d’état major du Führer, qui n’étaient pas en très bons termes avec les deux maréchaux du front Ouest. Depuis les échecs de l’Afrika-Korps, Rommel a perdu de son aura auprès du Führer et il commençait à devenir à ses yeux un pessimiste notoire quant à la valeur offensive de l’armée allemande sur le déroulement futur de la guerre. Rommel avait pendant longtemps admiré les capacités innées de stratège qu’Hitler avait employées depuis 1939. Les revers de l’armée allemande en Russie, Afrique, Italie et les incompréhensions sur le déroulement des plans de la Wehrmacht avaient diminué l’opinion qu’il avait sur le Führer. Depuis le 6 juin, les erreurs tactiques imposées par Hitler, le déroutent de plus en plus et il a l’impression que l’OKW ne prend pas bien la mesure des risques de la tête de pont alliée. Malgré l’insistance de ses généraux, Hitler fait la sourde oreille. Ou bien se sont ses généraux d’état major qui interfèrent dans la transmission des rapports. Le 12 juin Rommel décide d’envoyer au Führer un rapport complet sur la situation et sur les dispositions à prendre pour enrayer l’avance alliée.
* En haut : Von Rundstedt et Rommel. (Web)
Dans ce rapport, il préconise un repli de l’armée allemande derrière la rivière Orne pour y former une ligne de résistance élastique. Pour faire parvenir ce rapport directement entre les mains du Führer, Rommel utilisa ses relations particulières qu’il avait avec l’aide de camp d’Hitler le général Rudolf Schmundt. Ce fut sûrement ce rapport qui influença Adolf Hitler à convoquer ses généraux à Margival le 17 juin 1944. Voyons ensemble une partie du contenu du rapport de Rommel:
« la force à terre de notre ennemi s’accroît avec une vitesse beaucoup plus grande que celle de nos réserves pour atteindre le front…pour le moment, le groupe d’armées doit se contenter de former un front cohérent entre l’Orne et la Vire et laisser l’ennemi s‘avancer…
Impossible de relever les troupes tenant encore certaines positions côtières… Nos opérations en Normandie seront rendues exceptionnellement difficiles et même partiellement impossibles par la force extraordinaire- pour ne pas dire la supériorité écrasante- des forces aériennes alliées et par les effets de l’artillerie lourde de marine… Comme les officiers de mon état- major et moi même l’avons personnellement prouvé à plusieurs reprises et comme le démontrent les rapports des chefs d’unité, en particulier de l’Obergruppenführer sepp Dietrich, l’ennemi possède le contrôle complet du front. Presque tous nos transports sur route ou en rase campagne sont arrêtés de jour par d’importantes formations de chasseurs et de bombardiers. Nos mouvements dans le secteur de combat sont pratiquement paralysés de jour alors que l’ennemi se déplace en toute liberté… Ils nous est difficile d’amener les munitions et les vivres… les positions d’artillerie, les déploiements de chars, etc…sont immédiatement bombardés et neutralisés… Les troupes et les état-majors sont obligés de se cacher le jour… notre défense anti-aérienne, pas plus que la Luftwaffe, ne paraissent en mesure de contrecarrer ces opérations paralysantes et destructives des forces aériennes ennemies …
L’effet de l’artillerie lourde de marine est si grand que toute opération par l’infanterie ou les formations de chars est rendue impossible dans le secteur qu’elle couvre de son feu…
* le Führer bunker en septembre 1944, avec son camouflage. (Renoult)
L’équipement des Anglo-Américains qui comporte de nombreuses armes nouvelles et un important matériel de guerre, est de loin supérieur à celui de nos divisions. Comme l’Obergruppenführer Sepp Dietrich me l’a signalé, les divisions blindées ennemies conduisent la bataille d’une distance supérieure à trois kilomètres avec le maximum de dépense de munitions et un magnifique appui des forces aériennes… Les troupes parachutées ou aéroportées sont utilisées en si grand nombre et avec une telle efficacité que nos troupes attaquées éprouvent les plus grandes difficultés à se défendre… La Luftwaffe n’a malheureusement pas pu agir contre ces formations ainsi qu’il avait été prévu à l’origine. Comme l’ennemi peut paralyser nos formations mobiles de jour avec son aviation alors que lui-même opère avec des forces extrêmement mobiles et des troupes aéroportées, notre situation est en train de devenir extraordinairement difficile.
« J’insiste pour que le Führer soit informé de tout ceci ». Rommel.
Une autre chose très importante que nous devons prendre en compte, est le désaccord sur la stratégie à mettre en œuvre sur le front de Normandie qui oppose Rommel et von Rundstedt. Le premier est convaincu que la Normandie n’est qu’une première attaque faite pour obliger les Allemands à déplacer leurs troupes, pour ensuite attaquer en masse dans le Pas-de-Calais. Point de vue que partage Hitler. Le deuxième lui, est persuadé que se sera le seul débarquement et qu’il faudrait regrouper toutes les forces disponibles pour une contre-attaque massive avant que les Alliés puissent recevoir des renforts plus importants.
Après le débarquement, le 9 juin, Von Rundstedt réussit à convaincre Hitler de lui donner la XV armée qui se trouve dans le Pas de Calais pour lancer une contre offensive en Normandie. Le même jour un ordre du Grand Quartier Général du Führer permet la mise a disposition de cette armée sous le commandement de Von Rundstedt. Le 10 juin un agent
Double, ( Garbo), du contre espionnage allié, qui a depuis le début du plan Fortitude, infiltré les services d’espionnage allemand de l’Abwehr, envoie un vrai faux message codé stipulant que l’armée « fantôme » du Général Patton embarque dans les ports du sud de l’Angleterre pour un débarquement imminent dans le Pas de Calais. Hitler, influencé par Keitel et Jodl, annule le mouvement de la XV armée. Cette décision même tardive aurait pu mettre en danger la tête de pont alliée, mais sont annulation creusa encore plus de différends entre Von Rundstedt et Rommel.
Comme je l’ai dit au début du chapitre plusieurs versions de cette conférence furent rapportées. Nous allons les voir une à une dans leur texte intégral, que j’ai tiré de plusieurs ouvrages .
Le premier et le plus officiel est celui fourni par le compte-rendu de l’OKW qui fut transmis aux archives militaires allemandes et qui nous est arrivé en ces termes.
« Commandant I.G. Von Ekesparre.
I.B.H.GR.B17-06-1944
Rapport sur la conférence du Führer.
Le 17-06-1944 de 9 heures 30 à 12 heures 30.
A la vue d’une carte portant les positions du débarquement des forces alliées ennemies, la position de leurs propres troupes, la valeur et la position des mouvements de troupes, on ne peut encore parler, en ce qui concerne l’infanterie, de divisions tactiques, mais seulement de troupes de combat.
L’introduction de nos réserves ainsi que la 21è division blindée a été très difficile à cause de la supériorité des forces aériennes ennemies.
La 21è Panzer Division ne pouvait plus traverser Caen. Le colonel Hermann Oppeln-Bronikowski, commandant le régiment de chars, remontait et redescendait le long de la colonne, en volkswagen. La ville était en ruine. Les décombres bloquaient les rues, Boinikowski eut l’impression que toute la ville était en mouvement et cherchait à fuir.
Les rues étaient embouteillées d’hommes et de femmes en bicyclettes. Les panzers perdirent tout espoir. Bronikowski essaya de se replier pour contourner la ville. Ce mouvement lui ferait perdre des heures. Il n’y avait pas moyen de faire autrement.
L’ennemi bombarde où et quand il veut. Par conséquent, nos troupes ainsi que le ravitaillement n’ont pu être introduites que la nuit, ainsi, selon un plan pré établi, l’ennemi sera intercepté ce jour.
Le char devient, en Normandie pour ainsi dire le noyau de l’infanterie. Chaque section d’infanterie, chaque compagnie, chaque détachement de combat ne formera plus qu’autour d’un char, on ne put concevoir l’enlèvement d’une position sans l’appui d’un char, mais pas davantage non plus sa défense. Les contre-attaques locales pour rejeter un ennemi ayant pénétré dans la position, ou pour conquérir des points d’appui perdus ayant une particulière importance tactique, devinrent presque exclusivement l’apanage des chars isolés.
L’ennemi dispose déjà de 26 divisions en réserve, d’une puissante artillerie et lance-grenades ; il combat avec les mêmes méthodes qu’en Afrique. Dwight Eisenhower essaye d’obtenir le succès en introduisant en ligne un matériel supérieur.
Des troupes parachutistes sont installées derrière le front. Il existe une forte pression en direction de Cherbourg. La mise en action par l’ennemi de grandes unités d’infanterie de marine et d’artillerie et particulièrement gênante cette dernière empêchant une percée de nos blindés, dès qu’ils approchent de leur portée.
L’ennemi consolide immédiatement ses positions au cours de son avance, en minant puissamment. Notre aviation a effectué une faible poussée jusqu’à leur poste de commandement. Nous n’avons eu aucune reconnaissance aérienne et le débarquement allié n’a pu être évité de jour.
La nuit, l’ennemi consolide ses grandes unités. Notre défense anti-aérienne, ayant eu au départ de grandes difficultés, s’est peu à peu confortée.
Il ne fait aucun doute que les fortifications qu’on nous avait promises seraient très souhaitable ! En règle générale, la population française se comporte loyalement.
Le chef de l’administration militaire donne à cet effet plus d’explications et, devant la situation, demande l’autorisation du Führer, de retirer notre front de la moitié nord de la presqu’île du Cotentin en direction de Cherbourg. Le Führer établit qu’il ne pourra être remédié à l’isolement de la presqu’île du Cotentin, suivant la situation présente, à cause de notre totale infériorité aérienne qui, en bref, n’est numériquement pas compensée. Le führer consent au but des rapporteurs de l’OBW (Von Rundstedt et Rommel NdlA).
*salle de la conférence dans l’état où elle était en septembre 1944. (Renoult)
Il constate en outre que la forteresse est particulièrement affaiblie sur le front.
Il réquisitionne les forces suffisantes afin de les faire entrer dans les places fortes.
La 77è division doit rejoindre la forteresse, et non la 17è Panzergrenadierdivision SS.
Le retrait de ces mêmes troupes a pour but de combattre avec succès. Il faut tenir la forteresse la plus longtemps possible. Autant que possible jusqu’à la mi-juillet environ. C’est le commandant particulièrement le plus compétent qui sera affecté.
Il est préférable de tenir la forteresse en un bloc homogène, plutôt que de laisser arracher nos forces de leur position initiale.
Il faut toutefois essayer de tenir avec l’aviation, aussi longtemps que possible, les parties nord-ouest et nord-est. En cas de danger de percée de l’ennemi on devra faire sauter les batteries fixes. Les troupes devront s’éloigner des bastions. Il faudra transporter dans la forteresse au moyen des camions militaires et de la marine, toutes les munitions d’artillerie et d’infanterie.
Un changement de situation est possible par l’interruption de l’intendance de l’ennemi ou en rejetant ses forces maritimes.
A cet effet, le Führer ordonne sans aucune autre considération, le mouillage de nouvelles mines au moyen de la flotte et de l’aviation, entre le Havre et la Côte Est du Cotentin, afin que l’ennemi soit dans l’impossibilité de sillonner librement l’élément maritime.
Pour notre propre flotte, ce territoire maritime n’a de toute façon plus aucune importance.
Le Führer établit en même temps et fermement, que, du côté de la marine, et en ce qui concerne cette entrée en ligne, l’attitude de la marine à cet égard a été trop hésitante.
D’autre part, et dès que possible (6 semaines environ), il est dans l’intention d’engager une attaque avec de nouvelles bombes,(NdlA : V1) contre le débarquement et ses unités constituées. Par l’exécution des deux mesures, le contrôle de Cherbourg prendra tout son sens. Chaque jour gagné dans la défense de la forteresse et très précieuse pour l’ensemble de l’opération. Pour le reste du front, le Führer souligne que le règlement de la situation vers l’Est de l’Orne, semble important.
10 heures 30 – OBW porte un jugement sur une question du Führer en l’occurrence, les autres possibilités de débarquement de l’ennemi :
AWB. La défense du front est faible, le débarquement ennemi est possible.
Pour l’AOK15. La défense est plus forte qu’en Normandie. Cependant, il ne dispose pas de liaison rapide suffisante à sa disposition. L’ennemi ne rencontrera donc pas de difficulté importante.
En Bretagne et pour L’AOK1. Et l’AOK19, le débarquement est bien possible à ces endroits là, notre propre force est trop faible. Cependant chez l’AOK1. , le débarquement est improbable.
Le Führer est d’avis que l’ennemi n’emploiera pas ses réserves tant que celles-ci ne pourront être mises en liaison avec le commandement. Le fait qu’il ait déjà installé en Normandie toutes les unités expérimentées dont il dispose confirme qu’il s’est déjà profondément fixé ici. Il est possible que l’ennemi, suite aux combats à distance maintenant commencés soit amené à débarquer près de AOK15.
Sur une interrogation du Führer, en vue de projets plus vastes concernant le commandement actuel, l’OBW sollicite les consignes suivantes (manque cette partie du texte dans le rapport).
L’élargissement des têtes de pont est à éviter dans tous les cas. Des modifications tactiques sur le développement sur notre propre front doivent être amenées d’après la situation.
Pour l’attaque des têtes de pont nos réserves sont prêtes à être mises en place (chef D.GEN.St OBW déclare à cet effet que le Führer a donné son consentement).
Il est dans l’intention de mener l’attaque afin que la tête de pont de l’Est soit fendue et, selon la situation, rejetée vers l’Est ou l’Ouest.
OBH Gr. B( NdlA :Rommel) met en garde contre l’élargissement de notre propre front qui par là nécessiterait l’utilisation de l’arme blindée.
Proposition : entrée en ligne de la division d’infanterie sur la zone de l’Orne, l’entrée en ligne actuelle de la division blindée à l’Ouest de Caen doit être maintenue et préparation des réserves des unités aériennes constituées.
Après avoir déployé nos forces, il faut éviter le combat seulement au Sud, pour attaquer l’ennemi assaillant de flanc et pour frapper le secteur de l’artillerie de marine ennemie.
Pour conclure, le Führer souligne qu’il faut parvenir à tenir le front Sud de la presqu’île du Cotentin, si possible jusqu’à l’étendue Nord au niveau des marais (prairies marécageuses de Gorges). Il est exclu de conduire les combats sur la tête de pont Caen – Carentan, puisque l’ennemi détruirait tout grâce à sa supériorité matérielle en ligne.
C’est pourquoi les régions maritimes de la tête de pont doivent être interdites à l’ennemi par tous les moyens (mines) et l’installation de nouvelles armes aériennes, afin de couper le ravitaillement de l’ennemi, et de permettre notre propre contre-attaque.
12 heures 00 : Suit, en liaison avec le commandement général du 65è corps d’armée, un rapport sur les combats à distance (texte non fourni, intervention du général Heinemann et monologue de Hitler sur les armes V).
Suit un repas commun.
Vers 15 heures. Le führer prend congé ».
* Vue sur le Führer bunker et sur le chalet au-dessus. (Catrou Denis)
Pour bien analyser ce rapport, il faut avant tout se familiariser avec les abréviations militaires allemandes, puis avec l’organigramme hiérarchique de celle-ci, mais aussi avec les sentiments et les aversions que les uns ont par rapport aux autres .
Nous allons les détailler hiérarchiquement en partant du sommet de la pyramide.
1) : Adolf Hitler : chancelier du IIIè Reich commandant suprême de toutes les armées allemandes sur tous les théâtres d’opérations.
Depuis 1937 il commande seul les stratégies militaires.
Il se méfie de ses généraux depuis les reculs en Russie, Afrique et Italie.
Von Rundstedt le désignait comme « le caporal de Bohême ».
2) : OKW : (Oberkommando der Wehrmacht) commandement suprême de toutes les armées, commandant en chef maréchal Keitel. Grand Quartier général, Rastenburg.
Officier supérieur dévoué corps et âme au Führer.
3) : WFST : (Wehrmachtsführungsstab) état major des troupes opérationnelles, commandant en chef général Jodl. Quartier général, Rastenburg.
Comme Keitel est lui aussi dévoué au Führer.
4) : OBW : (Oberbefehlshaber West) Commandant en chef de l’armée allemande sur le front ouest.
Quartier général, Saint-Germain-en-Laye.
Commandant en chef maréchal Von Rundstedt.
Officier issu de l’aristocratie Prussienne, est en mauvais terme avec Rommel qu’il considère comme un boy scout. Officier peu aimé de ses subordonnés.
5) : OKH : (Oberkommando der Heeres) commandement suprême de l’armée de terre. Quartier général, Fontainebleau
Commandant en chef maréchal Von Kluge.
6) : AOK : (Armee Ober Kommando) commandement suprême d’une armée.
Le nord de la France était sous l’occupation de l’AOK 15 : XV armée allemande.
Quartier général Tourcoing.
Commandant en chef général Von Salmuth.
7) : OBH Gr B : (Oberbefehlshader der Heeres Gruppe B) Commandement en chef d’un groupe d’armée.
OBH Gr B était composée de la VII et XV armées.
Quartier général, château de La Roche-Guyon.
Commandant en chef maréchal Rommel.
Officier sorti du rang, ancien combattant de la première guerre, il n’avait pas de sympathie pour les officiers de la caste aristocratique tel que Von Rundstedt.
Le texte de ce rapport nous dévoile uniquement les paroles du Führer. En aucun cas, il n’est fait mention de contestation des officiers présents à la conférence, si ce n’est celle faite sur les promesses qui n’ont pas été tenues. Nous constatons certaines censures qui sont intervenues dans la retranscription du rapport relatives aux nouvelles armes.
Hitler aborde bien le sujet mais elles sont dénommées bombes. En effet, depuis peu (13 et15 juin) des V1 sont envoyées sur Londres pour bombarder la ville. Une suggestion du Führer pour les utiliser contre les ports anglais et têtes de pont américaines est émise, mais dans un délai de six semaines. Cette hypothèse ne pouvait être mise en application car à cette époque les rampes de lancement sont fixes et toutes orientées vers Londres. De plus, dès leur construction, par mesure de sécurité les Alliés ne sachant pas de quelles nouvelles armes il s’agissait vraiment, les détruisaient automatiquement . La principale préoccupation d’Adolf Hitler ce 17 juin retranscrit dans ce rapport est le renforcement des effectifs sur la ville de Cherbourg pour empêcher les Alliés de la prendre. Ceux-ci ont besoin d’un port en eaux profondes pour débarquer leur matériel lourd. Sa décision d’envoyer la 77 division d’infanterie au lieu d’une division blindée sera désastreuse. Cette 77 DI ne dispose pas de l’intégralité de son matériel offensif et subira pendant son déplacement des pertes importantes dues aux harcèlements de l’aviation alliée. Ce port sera pris par les Américains le 27 juin 1944 après que les Allemands l’aient complètement saboté.
A 10h30, Von Rundstedt revient sur la possibilité qu’un autre débarquement puisse avoir lieu.
Depuis le 10 juin et l’annulation du plan Cas III A concernant le déplacement de la XV armée il ne cessait de dire que cette attente statique était une folie. Ce 17 juin 44 le plan Fortitude intoxique toujours les décisions du Führer.
* Vue de gauche de la façade du chalet « teehaus » avant qu’il soit détruit. (Web)
Ensuite, nous avons les rapports qui furent retranscrits par les Alliés. Les textes divergent radicalement du compte-rendu allemand. Ils sont pour la plupart inspirés des mémoires du général Speidel.
Tout d’abord, le texte qui se trouve dans l’ouvrage de George Blond.
« 17 juin 1944 à 3 heures du matin, l’auto du maréchal Rommel, une fois de plus couverte de la boue et de la poussière des champs de bataille de Normandie, s’arrêta devant le château des Ducs de la Roche-Foucauld, à la Roche-Guyon. Le Maréchal rentrait d’une tournée d’inspection de vingt et une heures dans le Cotentin. Son chef d’état major, le général Hans Speidel l’attendait avec un message à la main. »
-« Monsieur le Maréchal nous devons nous trouver aujourd’hui à 9 heures au poste de combat W II, près de Margival, au Nord de Soissons. » Le maréchal Von Rundstedt et son chef d’état major s’y trouveront également.
-« Ah ! dit Rommel. J’imagine que nous rencontrerons aussi là une autre personne ? C’est bien cela ? ».
Hans Speidel inclina affirmativement la tête, « c’est bien cela ».
Hitler, cédant enfin à l’insistance de ses deux maréchaux, acceptait de s’entretenir avec eux autrement que par téléphone.
Dès que Rommel et son chef d’état major (Speidel) descendirent de voiture, ils se trouvèrent au milieu du commando de SS de la garde personnelle du Führer. Ses hommes les firent pénétrer dans le QG fortifié et derrière eux, verrouillèrent l’entrée.
Von Rundstedt et son chef d’état major, le général Blumentritt, étaient déjà arrivés. Jodl se trouvait là aussi, ainsi que d’autres militaires de l’entourage d’Hitler. Dans la grande salle du PC, tout le monde se tenait debout. Hitler seul était assis sur un tabouret.
Il avait le visage gris et tiré, et paraissait nerveux. Il tenait ses lunettes dans ses mains et les remuait constamment. Il accueillit les arrivants par quelques mots de salutations, rapides et froids. Puis, ayant constaté que l’assemblée était au complet, il commença un monologue.
Le succès du débarquement allié était hautement regrettable et, même, inadmissible. Des fautes avaient certainement été commises. Les planeurs transportant des troupes alliées auraient normalement dû être détruits dans une proportion de 80%. Les alliés n’auraient même pas du prendre pied sur les plages. Si les garnisons armant les points fortifiés avaient réellement fait leur devoir rien de semblable ne serait arrivé. Ces garnisons avaient été certainement surprises en plein sommeil. Ensuite, les panzers n’avaient pas contre-attaqué avec l’énergie désirable…
A mesure qu’il parlait, Hitler élevait la voix ; le monologue devenait discours.
-En tout cas, conclut-il, tout recul doit maintenant cesser. Nous ne devons plus céder un pouce de terrain.
Les deux maréchaux avaient écouté dans un profond silence. Il s’était attendu à une sortie de ce genre, il savait qu’il devrait la subir. Mais il pensait que maintenant que leur chef suprême se trouvait au milieu d’eux, il pourrait s’expliquer mieux et plus longuement qu’au téléphone.
Rommel en particulier, avait hâte de le faire. D’un coup d’œil, Von Rundstedt le comprit, et il proposa que le chef du groupe d’armée B prit le premier la parole, en qualité du commandant du front d’invasion, pour un exposé au Führer.
Hitler leva vers Rommel un visage où se lisait une sorte de curiosité méfiante.
* Hans Speidel (Web)
-Oui, dit-il
-Il n’y a rien à reprocher à nos troupes dit Rommel…
Le combattant du désert parla « avec une franchise totale ».
Ce qui importait d’abord, pensait-il, s’était d’ouvrir les yeux du Führer ; de faire prendre conscience de la réalité au dictateur visionnaire qui prétendait commander de Berchtesgaden les mouvements des armées sur un théâtre d’opération qu’il ne connaissait que par la carte. Non, les garnisons du mur de l’Atlantique n’avaient pas été surprises en plein sommeil. Dans l’ensemble, elles avaient tenu courageusement sous les terrifiants bombardements alliés. Il s’était trouvé un grand nombre de soldats pour, une fois le pilonnage préliminaire terminé, prendre leur place derrière les canons et les mitrailleuses. Mais les moyens mis en œuvre par les alliés étaient véritablement colossaux. Leur aviation était maîtresse du ciel. Rommel insista comme il convenait sur cette suprématie aérienne qui avait constamment retardé, parfois complètement interdit, les mouvements des divisions appelées sur le lieu de la bataille.
D’ailleurs, pourquoi avait-on tant tardé, à Berlin, à autoriser la constitution du premier corps blindé SS sous un commandement unique ? Maintenant, la supériorité tactique des alliés était, dans tous les domaines, plus écrasante encore qu’au début. Dans le secteur de Caen, ils mettaient constamment en ligne de nouvelles forces…
-Quelle est la situation dans ce secteur ? Demanda brusquement Hitler. Pourquoi n’avez- vous pas contre-attaqué ? Les Anglais n’ont là que peu de terrain derrière eux. Vous auriez dû les rejeter à la mer.
-Nous avons contre-attaqué. Malgré l’aide que les Anglais reçoivent de leur aviation, nous les avons contenu et même refoulé en certains points. Il est vrai qu’ils n’ont que peu de terrain derrière eux, mais, dans une certaine mesure, cela leur est un avantage : les 406 (NdlA millimètre du calibre des canons) des cuirassés britanniques interviennent dans la bataille et ils arrêtent nos blindés. L’offensive alliée est bloquée devant Troarn, Caen, Tilly-sur-Seulles, et au Sud de Caumont. Dans le Cotentin, nous avons repris Montebourg, mais ce n’est qu’un succès local et provisoire. Nous ne pourrons pas tenir longtemps de ce côté. Les blindés américains poussent vers Barneville, à l’Ouest de la péninsule, pour la couper. La chute de Cherbourg est inévitable.
-Les forteresses doivent être défendues jusqu’à la dernière goutte de sang, dit furieusement Hitler. Et vous ne me proposez rien de positif.
-Si. Le front de Caen doit être retiré derrière l’Orne. Au lieu de lancer de nouvelles troupes dans ce piège qui est maintenant pour nous le Cotentin, nous devons adopter une défense élastique au Sud de cette péninsule. Une contre-attaque générale est possible si elle est organisée à l’échelle stratégique, avec liberté totale pour le commandement du front de Normandie, et si on nous envoie de l’aviation ainsi que des divisions cuirassées prélevées sur la quinzième armée. Il n’y aura pas d’autre grand débarquement au Nord de la Seine…
-Il peut y en avoir. En tout cas, je ne n’autorise aucun repli, nulle part !
Hitler s’était levé. Il se mit à marcher de long en large, l’air excédé. Puis il s’arrêta, et l’expression de son visage changea.
-Vous n’avez aucune idée de ce qui va se produire, dit-il d’un ton prophétique. Les fusées V et d’autres armes nouvelles nous donneront la victoire.
Et il commença un nouveau discours, sur le thème suivant :
Londres allait être réduit en poussière par les armes VI, et l’Angleterre serait contrainte de demander la paix. Il reprit cette idée sous plusieurs formes différentes, parlant avec une exaltation désordonnée. Et les VI n’étaient pas les seules armes mortelles pour les alliés : dans les laboratoires allemands, des savants en préparaient d’autres mille fois plus terrifiantes… (NdlA V2).
-Pourquoi ne pas employer les VI contre la tête de pont alliée ? demanda Von Rundstedt.
-Qu’on fasse venir Heinemann, dit Hitler. Il est ici.
Le général d’artillerie Heinemann était le chef responsable de l’emploi des armes V. Introduit il écouta les questions des maréchaux. (NdlA les armes V1 étaient sous la responsabilité de la Luftwaffe alors que les V2 étaient sous la responsabilité de la Heere puis des SS, ce qui ralentissait énormément l’élaboration des projets).
-Il serait risqué d’employer les V1 contre la tête de pont, répondit-il. La dispersion est encore trop grande : de 15 à 18 km. Nos troupes seraient exposées.
-Ne pourrait-on pas du moins les employer contre les ports du Sud de l’Angleterre ? Insista Rommel. Cela nous aiderait directement.
Hitler intervint.
-Non. C’est Londres que nous devons atteindre. La destruction de Londres contraindra les anglais à demander la paix.
Rommel et Von Rundstedt commençaient à se sentir découragés. Le dictateur-visionnaire refusait d’abaisser son regard sur la réalité de la bataille de Normandie ; il le tenait fixé sur un avenir de victoire par les V1 et les armes secrètes que lui seul apercevait, qui était la seule réalité à laquelle il voulait croire. Lorsque Rommel reparla de la terrible efficacité de l’aviation alliée, il eut une moue d’incrédulité. Rommel dit sèchement :
-vous nous demandez d’avoir confiance, mais on n’a pas confiance en nous. (NdlA Rommel fait allusion aux interférences que l’entourage d’Hitler faisait entre celui-ci et les maréchaux du front de l’Ouest).
Et il ajouta que les membres du haut commandement ne pouvaient, des bureaux de Berlin se représenter la véritable situation à l’Ouest. « Devant ce reproche Hitler changea de couleur, mais resta muet. »
La conférence fut interrompue par le déjeuner. Des fenêtres de la salle à manger, situées au-dessus du PC bétonné, on découvrait la cathédrale de Soissons. (NdlA : en avril 2008 la commune de Laffaux a fait abattre les peupliers qui se trouvaient en contre-bas du chalet et nous avons pu apercevoir dans la trouée, qu’effectivement, on apercevait entre les deux collines au loin, les flèches de Saint Jean des vignes de Soissons).
Le repas fut frugal. Pour Hitler, une grande assiette de riz et de légumes. Un SS de sa garde personnelle goûta le plat avant lui. Deux SS se tenait debout derrière sa chaise.
La conversation se poursuivit, les maréchaux insistant sur la double nécessité de recevoir des renforts et d’avoir les mains libres à l’Ouest. Hitler parla encore des V1 et il annonça que de nouveaux avions de chasse à réaction, qui seraient bientôt mis en service, balayeraient du ciel les appareils alliés. A ce moment, un SS vint annoncer ;
-Alerte aérienne.
(NdlA : à cette date sur les terrains d’aviation allemand de Juvincourt Damari et Crepy-Couvron des escadrilles de M 110 sillonnaient l’espace aérien de Margival pour le sécuriser).
Le déjeuner étant terminé, tout le monde descendit dans l’abri. (NdlA : le chalet où fut pris le repas se trouve en effet sur une plate forme au-dessus du bunker d’Hitler).
Rommel reprit la parole, cette fois non sur la situation à l’Ouest, mais sur la situation de l’Allemagne dans la guerre. Selon lui, elle était désespérée. L’isolement diplomatique de l’Allemagne était catastrophique. Ni le front de l’Est, ni le front Italien, ni le front de l’Ouest ne pourraient tenir indéfiniment. En continuant à combattre partout avec acharnement et à condition qu’on adopta une stratégie souple, les armées allemandes pouvaient seulement retarder la victoire alliée. Cette marge de temps devait être mise à profit pour obtenir une paix acceptable. Hitler interrompit brutalement son maréchal :
-Cela ne vous regarde pas. Occupez-vous plutôt de votre front d’invasion.(NdlA : depuis quelques temps Rommel, par l’intermédiaire du général Speidel, était en contact avec les généraux conspirateurs).
-J’ai aussi à parler d’Oradour-sur-Glane, dit froidement Rommel. Je demande l’autorisation de punir la division SS Das Reich, qui a exercé des représailles inadmissibles. De pareilles choses salissent l’uniforme allemand.
Hitler devint tout rouge :
-Ne vous mêlez pas de cela ! Cria-t-il. Ce n’est pas votre secteur !
Von Rundstedt intervint pour appuyer Rommel. La France devrait être traitée autrement.
Il n’était pas politique de soulever l’hostilité active de l’ensemble de la population. La tâche des armées allemandes n’en serait pas facilitée.
-Cela me regarde, dit Hitler. Je sais ce que j’ai à faire.
Il ajouta :
-Je pense que nous en avons terminé.
Et ayant pris congé froidement des généraux, il quitta la pièce.
Son aide de camp en chef, le général Schmundt, ne le suivit pas immédiatement. Il avait assisté à toutes les discussions sans intervenir, mais Rommel et Von Rundstedt savaient qu’il paraissait impressionné par certains de leurs arguments.
-« Je crois qu’il serait bon que le Führer se rende, par exemple, à la Roche-Guyon, dit Schmundt à Rommel. Vous convoqueriez quelques commandants des unités du front et le Führer les entendrait. Il pourrait ainsi avoir des informations absolument directes sur la situation. Voulez-vous arranger cela ? Je vais m’en occuper de mon côté. Téléphonez demain à Saint-Germain.
-Entendu, dit Rommel.
Il était 16 heures. Von Rundstedt et Rommel quittèrent le poste de combat WII avec leurs chefs d’état major.
Le lendemain matin, Rommel appela le QG Ouest comme convenu. Le général Blumentritt lui répondit.
-Alors, demanda Rommel, l’horaire de la visite dont il a été question est-il fixé ?
-Non. Le Führer est rentré directement à Berchtesgaden.
-Comment ?
-Oui. Vous recevrez un message explicatif.
Le message arriva dans la matinée. La raison du retour précipité en Allemagne était la suivante : la veille, peu après le départ des maréchaux, une fusée VI, lancée d’une rampe du Pas-de-Calais avait pris une mauvaise direction par suite d’un dérèglement de son gyroscope et était venu exploser près du poste de combat WII.
L’explosion du VI n’a causé que peu de dégât parce que personne ne s’était trouvé à proximité du point de chute. Mais Hitler, s’il avait décidé de faire une petite promenade au lieu de demeurer dans son PC bétonné, aurait pu s’y trouver. Le chef de la garde SS ne pouvait supporter cette pensée.
Il avait insisté pour qu’on parte sans plus attendre, pour que le Führer reprenne le chemin de Berchtesgaden. Hitler s’était laissé convaincre, non qu’il craigne tellement le danger, mais les conférences avec ses généraux qui discutaient ses directives, qui ne croyaient plus aveuglement à son génie, lui étaient horripilantes.
Dans ce texte le ton change radicalement et nous ne sommes plus devant une discussion entre militaires placés devant une situation délicate. Les parties censurées dans le texte de l’OKW sont ici retranscrites, et de nouveaux intervenants font leur apparition. Hitler arrive le premier, suivi de Von Rundstedt puis de Rommel accompagnés de leurs chefs d’état major. La nervosité du Führer et le ton qu’il emploie montre que cette conférence n’est pas pour lui plaire. Le quartier général est, quant à lui, mis sous la protection d’un détachement de SS. A cette date, le W2 n’est pas complètement fini, car des habitants présents dans les alentours à cette époque m’ont affirmés qu’en Juillet 1944 des requis travaillaient encore sur les chantiers. Seules les batteries de Flak étaient plus ou moins terminées et opérationnelles. Si ce déplacement du Führer avait été prévu, ce ne serait pas des SS mais des membres du Führerbegleitbattailion qui auraient eu à charge la protection du W2 ( bataillon spécial constitué pour la protection des camps avancés du Führer pendant les campagnes du début de la guerre, qui était chargé de la protection des quartiers généraux quand le Führer s’y trouvait. Rommel pendant la campagne de Pologne avait commandé ce bataillon). L’hypothèse émise par Hitler dans le premier texte devient celle de Rommel quand à l’utilisation des V1 contre les têtes de pont alliés, pour après se contredire et affirmer que c’est Londres qu’il faut détruire. L’intervention du général Heinemann camoufle la vérité sur les V1. Beaucoup de ceux lancés, tombèrent en mer ou explosèrent au décollage, mais Hitler veut en faire les armes de la victoire. Les longs monologues qu’il fait, montrent aussi qu’il est venu pour imposer son point de vue et affirmer que lui seul commande toutes les armées. Une intervention de Rommel sur l’envoi de blindés et la mise en place d’un commandement unique met en évidence les divisions au sein des trois armées qui ralentissent les opérations. L’intervention de celui-ci, quant à la politique du Führer concernant l’Allemagne, met Hitler en furie. Depuis quelque temps, Rommel et d’autres Généraux ont compris qu’Hitler ne pouvait continuer la guerre dans de telles conditions et qu’il fallait qu’une sortie diplomatique soit envisagée. Hitler et les hauts dignitaires du Reich savaient que cette hypothèse n’était pas réalisable compte tenu du sort des Juifs et de la solution finale. Aucun des Alliés ne cautionneraient ces massacres. De même, son intervention sur le massacre d’Oradour et le besoin de le punir ne le concernait pas. Ce problème était plus celui de Von Rundstedt que le sien, c’est le commandant en chef de l’OBW qui aurait dû aborder le sujet. Von Rundstedt voulait-il mettre Rommel encore plus en porte-à-faux face à Hitler ? Le rapport envoyé le 12 ne laissait planer aucun doute quant aux opinions de Rommel face au débarquement ce qui le plaçait déjà dans une position délicate ce jour là. Il est aussi fait mention d’un V1 qui serait tombé près du bunker de Hitler, et qui aurait été la cause du départ de celui-ci. Ce jour là, une bombe volante V1 est bien tombée dans les environs, des rapports de la Luftwaffe et de la SD en font mention, mais un chapitre y sera consacré plus loin.
Pour compléter notre bibliographie, nous allons voir maintenant ce que Desmond Young relate dans son livre biographique sur Rommel.
* Requis STO installant une voie de chemin de fer sur le Mur de l’Atlantique. (Web)
Le 17Juin Von Rundstedt persuada Hitler de présider une conférence à Margival, près de Soissons. Von Rundstedt y amena Rommel. Les deux maréchaux parlèrent franchement et ne laissèrent aucun doute à Hitler de ce qu’ils pensaient de la perspective du rejet de l’envahisseur à la mer. Loin de pouvoir réaliser ce projet, le seul espoir d’empêcher une rupture était de se retirer derrière l’Orne et établir un front jusqu’à Granville sur la côte Ouest du Cotentin. Un tel front, courant à travers le bocage - campagne cloisonnée de haies épaisses – puis à travers des collines boisées, pourrait peut-être tenir par de l’infanterie. Les blindés seraient alors organisés et mis en réserve. La réplique de Hitler : « pas de retraite », fut presque automatique. Rommel ne détendit pas l’atmosphère en élevant une protestation auprès de Hitler pour « l’incident » d’Oradour-sur-Glane qui s’était passé la semaine précédente. En représailles pour le meurtre d’un officier allemand, la division SS Das Reich avait enfermé les femmes et les enfants dans l’église et mis le feu au village. Comme les hommes et les adolescents jaillissaient des maisons en flammes où ils avaient été parqués, ils avaient été abattus à la mitrailleuse. Le feu ayant été mis à l’église, six cents femmes et enfants y périrent. Il était malheureux, admettaient les SS, qu’il y ait eu deux villages du nom d’Oradour et qu’on se fut trompé en tombant sur celui qui n’avait aucune responsabilité dans le meurtre. Les représailles n’en avaient pas moins eu lieu. Rommel demanda l’autorisation de punir la division. « De pareilles choses salissent l’uniforme allemand, dit-il. Comment s’étonner de la force de la résistance française agissant dans notre dos lorsque la conduite des SS pousse chaque français un peu conscient à la rejoindre ? ». Hitler aboya : « ne vous mêlez pas de cela. Ce n’est pas votre secteur. Résister à l’invasion voilà votre travail . »
La conférence pris brusquement fin lorsque Von Rundstedt et Rommel, avec beaucoup d’audace, essayèrent de soulever la question des ouvertures de paix aux puissances occidentales. Les adieux ne furent cordiaux ni d’un côté ni de l’autre.
Peu après, l’explosion d’un VI endommagea le quartier général. Elle ne causa, malheureusement aucune perte.
* Intérieur de l’abri anti-aérien ou la conférence du 17 continua pendant l’alerte aérienne. ( Guilbert A )
Dans ces lignes, qui elles aussi sont inspirées des mémoires de Speidel, nous retrouvons les passages sur les réflexions au sujet du repli sur l’Orne et du massacre d’Oradour comme dans le texte de Blond. L’auteur a beaucoup moins ici romancé les mémoires de Speidel.
Nous retrouvons aussi notre V1, qui ici, est tombé sur le quartier général. Dans l’ensemble les propos sont presque similaires. Entre le rapport officiel de l’OKW et les écrits des deux auteurs les traductions divergent. Placée, soit du côté Allemand ou Allié, cette conférence fut-elle, vraiment décidée en amont ou improvisée, et pour quelles raisons Hitler convoque t-il ces maréchaux à Margival ?
Dans l’ouvrage de Rochus Misch, celui-ci raconte, qu’après le débarquement en Normandie, Hitler se rend le 16 Juin 1944 à Metz mais sans connaître le but exact de cette visite. Le 17 Juin, le quartier général n’était toujours pas fini et incomplètement opérationnel, pour recevoir le Führer, dans des conditions optimales de sécurité. Ce fut sûrement la raison du départ d’Hitler aussitôt la conférence finie et en aucun cas la chute d’un V1.
Dans le texte de George Blond il est dit que Speidel attendait Rommel le 17 à 3 heures du matin sur les marches du château de la Roche-Guyon pour le prévenir de la conférence. Dans le texte de Desmond Young, c’est Von Rundstedt qui emmène Rommel à la conférence, qu’il a réussi à avoir entre le Führer et ses maréchaux à Margival.
Les raisons et les résultats de cette conférence avaient-ils été vraiment anticipés par Hitler ?
A cette époque, il faut prendre aussi en considération l’état d’esprit de camaraderie et de subordination qui régnaient au sein des états majors allemands.
Cet état d’esprit des uns envers les autres influença, après le débarquement, les rapports et décisions qui furent pris par les états majors. Un officier allemand rapporta un jour « que s’était celui qui sortait le dernier du bureau du Führer qui avait raison ».
La rigueur très militaire du rapport de l’OKW permit à l’armée allemande d’effacer de ses archives les réflexions défaitistes qu’auraient pu émettre les officiers. Hitler avait l’habitude de relire les compte-rendu de réunion et de modifier ce qui le dérangeait. La situation en Normandie depuis le 6 Juin devenait insoluble pour le grand quartier général d’Hitler. Après avoir envoyé les renforts nécessaires, la situation n’avait pas évolué et l’intoxication de l’armée allemande grâce au plan Fortitude avait déstabilisé Hitler dans ses décisions.
Allait-il y avoir un autre débarquement dans le Pas de Calais ?
Le 9 Juin, Von Rundstedt avait enfin réussi à convaincre Hitler de déclencher le plan Cas
III A. Plan qui mettait à sa disposition la XV armée du Pas-de-Calais pour la déplacer sur la Normandie. Cette XV armée avait été spécialement armée et entraînée pour arrêter le débarquement que Hitler attendait dans le Nord de la France, mais il fut annulé le 10.
Rommel, quant à lui, ne recevait plus les renforts qu’il espérait. Nous pouvons penser qu’entre le 10 et le 17 Von Rundstedt d’un côté et Rommel de l’autre ne cessèrent d’appeler l’OKW pour bénéficier individuellement des faveurs du Führer. Celui-ci, ne supportant plus l’arrogance de l’un et le défaitisme de l’autre, décida opportunément de se rendre en France, sans que personne d’autre, hormis son entourage direct, ne soit prévenu.
Il quitta Berchtesgaden le 16 et atterrit à Metz dans la soirée. Pendant la nuit il se rendit à Margival en voiture blindée. Ce fut sûrement à ce moment là, qu’il fit prévenir les états majors pour que les maréchaux et officiers soient présents le lendemain 17 à 9 heures du matin à Margival.
Pourquoi cette visite à Metz ? S’il avait prévu cette conférence il aurait très bien pu atterrir le 17 au matin sur l’aérodrome moderne de Juvincourt ou de Crepy-Couvron, où des escadrilles de « Messerschmitt 110 » pouvaient assurer son escorte. Ces aérodromes situés à 30 km de Margival étaient sûrement plus près que Metz. Malheureusement pour les Allemands, ceux-ci furent la cible de bombardements le 16 juin en fin d’après midi, ce qui empêcha l’avion d’Hitler d’y atterrir.
Ce furent les escadrilles de ces aérodromes qui assurèrent la protection de l’espace aérien de la région du W2 le jour de la conférence. Cette protection n’empêcha pas qu’une alerte aérienne oblige le Führer et ces maréchaux à se réfugier dans l’abri anti-aérien accolé à la salle de la conférence.
Si un bombardement avait eu lieu, il aurait été plus dirigé contre les batteries de Flak situées sur les plateaux aux alentours, que contre le W2. A cette époque, les Alliés ne disposaient pas de certitude sur la destination et l’utilité des constructions de Margival.
L’état de nervosité d’Adolf Hitler et le ton qu’il employa lors de cette conférence, les trois rapporteurs nous l’ont bien fait ressentir. Leurs écrits montrent que le Führer n’était pas venu pour discuter de stratégie et de mouvements de troupes mais plutôt pour imposer ses visions.
Depuis le débarquement, il sentait la division se faire de plus en plus entre ses maréchaux et généraux. Le 17 Juin à Margival, il était venu pour leur montrer à tous, que c’était lui le chef et que c’était lui qui dictait les choses. Speidel le soir de la conférence relata quelques termes employés par le Führer. « ne pas parler d’une tête de pont, mais du dernier morceau de territoire français qu’occupe l’ennemi ».Les opérations militaires allemandes qu’elles soient terrestres, maritimes ou aériennes décidées ce jour là, ne firent que ralentir quelque peu l’avancée des Alliés. Les directives prises à Margival n’ont eu aucune incidence sur le cours de la libération de la France. Les armes V (V1, V2, V3 et avions à réaction) furent mal utilisées et ne furent pas celles de la victoire. L’état d’esprit des généraux de l’armée allemande et leur division sur les stratégies à employer n’en furent pas non plus amélioré.
Rommel ce soir là, pendant une promenade avec le vice amiral Ruge lui parla de la conférence. « Le Führer projette une contre attaque grandiose. Il croit que l’adversaire ne tiendra pas au-delà de cet été ». « Rommel dira Ruge, a dépeint la situation sans ménagement. Hitler, très optimiste et très calme, la juge autrement et a manifestement impressionné quelque peu le maréchal » .Ruge n’est pas dupe devant le discours de Rommel. Il le connaît suffisamment pour comprendre que ces paroles sont faites pour ne pas démoraliser son subordonné.
Je voudrais revenir sur le fait que le W2 de Margival, fût conçu et construit pour recevoir le guide suprême du III Reich, et lui permettre grâce à sa technologie moderne, de mener les troupes allemandes vers la victoire sur le front de l’Ouest après un débarquement Alliés. Aucune archive ne nous est parvenue pour nous dire où Hitler se rendit après la conférence. Est-il resté sur place ? Le bunker de la conférence disposait de tout le confort pour que le Führer puisse y séjourner ou s’est-il rendu ailleurs ? Un rendez-vous au siège de l’OBW était prévu le lendemain à St Germain en Laye. Friedrich Ruge encore dans son ouvrage, nous dit : « Au petit déjeuner nous apprenons que Hitler, abandonnant son intention de venir à notre Q.G., est reparti pour Berchtesgaden dès le 18 au matin, parce que, dans la nuit, un V1 ayant dévié de sa trajectoire, a fait explosion aux environs du lieu où il se trouvait ». Aux alentours de Margival, mais toujours dans le périmètre de sécurité plusieurs endroits pouvaient accueillir le Führer.
Le château de Vregny, qui avait été aménagé pour Himmler, disposait d’un bunker anti-aérien, de batteries de Flak et de troupes. Le château de Mailly, siège de la WOOL et du SD mais conçu pour Von Rundstedt, disposait des mêmes avantages. Les deux lieux pouvaient l’accueillir. Un autre lieu peut aussi être mentionné. Une demeure bourgeoise à l’entrée du village de Neuville sur Margival, elle aussi près des mêmes infrastructures, aurait pu être utilisée. Cette hypothèse fut transmise de bouche à oreille par des habitants de la région. Cette possibilité ne peut en outre être retenue que comme légende car les habitants de ce village furent évacués en mars 44 ce qui rendait impossible la présence d’un témoin oculaire.
L’ endroit exact où tomba ce V1 dans la nuit du 17 au 18 juin est le marais près de la ferme de St Guislain sur la commune de Allemant située à 3 kilomètres à vol d’oiseau de Margival. Cette arme qui devait être celle de la victoire, mais dont la conception n’était pas complètement finie, aurait pu mettre un terme à la seconde guerre mondiale. La suprématie de l’armée allemande, quant à elle, était belle et bien sur le point de finir.
Une chose est pourtant sûre, Hitler a repris son avion sur l’aérodrome de Crépy Couvron où une escorte l’a accompagnée jusqu’en Allemagne. L’explosion de ce V1 fut-elle la seule raison du départ de Hitler ? Ne serait-ce pas plus l’insistance de ces généraux et de sa garde, le sachant à la merci d’une attaque de troupes aéroportées, qui l’aurait poussé à partir ?
Dans son livre « Au cœur du III° Reich » Albert Speer raconte son entrevue qu’il eut avec Hitler le 18 juin 1944.
Hitler avait déterminé personnellement l’emplacement de ses quartiers généraux. Il justifia en ces jours où il allait perdre la France, les énormes moyens mis en œuvre en faisant remarquer qu’un de ces quartiers généraux au moins était situé exactement à la frontière occidentale de l’Allemagne et pourrait s’intégrer dans un système de fortifications. Le 17 juin, il visita ce quartier général situé entre Soissons et Laon, baptisé W2 pour revenir le même jour à l’Obersalzberg (donc le 17 et non le 18 comme le dit Ruge. NdlA). Il se montra de méchante humeur : « Rommel n’est plus maître de ses nerfs, il est devenu pessimiste. Aujourd’hui seuls les optimistes peuvent arriver à un résultat » après de telles remarques, le renvoi de Rommel n’était plus qu ‘une question de temps. Car Hitler considérait encore que la ligne de défense qu’il avait mise en place en face de la tête de pont était toujours invincible. Il me déclara, ce soir là, que W2 lui semblait trop peu sûr, situé au milieu d’une France infestée de résistants.
Ce dernier texte, issu des mémoires de l’architecte et ministre de l’armement d’Hitler, ne parle absolument pas de la chute du V1. Si le Führer avait assisté à cette mésaventure, il aurait sûrement dû en parler à Speer qui était par sa fonction responsable des travaux sur les armes V. Mais il n’oublia pas de discréditer Rommel et le potentiel de Margival. Toutes les questions sont possibles sur les choses qui se sont vraiment passées pendant la présence du Führer à Margival.
Chacun y a rajouté quelques lignes ou suppositions mais l’histoire ne retiendra seulement que la venue d’Adolf Hitler en France, onze jours après le débarquement, ce qui ne changea pas le cours de la guerre.
* Photo de la voie de chemin de fer Soissons – Laon prise pendant l’hiver 44 ou 45. A gauche l’entrée du tunnel camouflet, à droite le chalet. Au milieu le quai qui permettait la descente du train et le Führer bunker invisible sous sont camouflage. ( Seidler – Zeigert )